Sélection du Prix Biblioblog 2011
(Lire les avis des autres membres du jury des Biblioblogueurs)
Un voyageur parcourt l'Orient au hasard. De Moscou, il prend la direction du Sud. Dans le train pour la Crimée, il rencontre un jeune Tatar. Ils feront le chemin ensemble et passeront une dizaine de jours à Yalta.
Ce premier roman d'Emmanuel Ruben est assez déroutant. La narration faisant la part belle aux digressions, j'ai longtemps craint que nous n'arriverions jamais à Yalta ! Entre autres détours (qui peut-être agaceront certains lecteurs), on trouvera de nombreuses visions d'autres régions du monde, des réminiscences plus ou moins fabulées, des références à la littérature russe (notamment Tchékhov, Pouchkine, Gogol). Le séjour à Yalta apparaîtra d'abord en flashback flou, autour d'une scène très picturale mettant en scène le Soleil, des cyprès et le Tatar endormi, tandis que le narrateur se demande si c'est la dernière fois qu'il le voit. Par accrétion, des éléments vont venir compléter le tableau. Des images vont en compléter d'autres. Parfois, le narrateur, s'apercevant de son erreur, corrigera quelque détail.
Ce livre m'a fasciné. D'une part, l'auteur réussit à faire partager son intérêt pour la langue russe (on trouvera quelques mots en cyrillique dans le texte), le dessin et bien d'autres choses. D'autre part, grâce au rythme et aux sonorités, le style est paré d'une grande beauté.
Paradoxalement, cette flânerie en Orient exige du lecteur un effort soutenu. Il faut prendre garde à ne pas laisser de côté certains détails sans lesquels le risque est grand de perdre le fil tracé par l'auteur qui nous emmène on ne sait où. Mais l'important n'est-il pas le voyage ?
Extrait :
Bref, de la Crimée, aucun souvenir, répétait-il. Au bout du compte, il s'en était tiré en me retournant la question : il voulait savoir comment je me représentais ou plutôt comment je me dessinais, le russe dit rissovat' sebe,
dessiner pour soi-même, oui comment je me dessinais ça, la Crimée. Et, j'ignore pourquoi, je lui avais parlé de paysages un brin désertiques : j'imaginais des rivages anonymes, un bout d'Europe oublié. Là, sans limite nette, dans une subtile modulation de teintes, la steppe se ferait rivage et le rivage mer ou lagune — je fis du plat de la main, pour illustrer ma vision, le signe d'un chef d'orchestre à ses altos : largo. Seul un reflet marquerait le passage d'une étendue à l'autre, d'un élément à l'autre, et, là, je repris mon calepin et mon porte-mine pour griffonner — quelle joie, ça me revenait, ça me retraversait, ça refluait en moi pour de bon ! — le profil crénelé d'une tour et d'un pan de remparts, derniers vestiges d'une forteresse génoise, vénitienne ou byzantine ; quelques arabesques et je les paraphais de leur reflet diminué, tremblotant, dans l'eau huileuse des couchers de soleil — là, vous voyez, il faudrait une pointe de Sienne. Attendez, je vais sortir ma boîte d'aquarelles...
Halte à Yalta d'Emmanuel Ruben - JBz & Cie - 235 pages.
Commentaires
mardi 22 mars 2011 à 18h30
Ballade au gré du temps et des moyens de transport de Lettonie jusqu'à Yalta.
Rencontre entre un jeune Tatar et le narrateur (qui pourrait être son père), Discussion enflammée (dispute) au sujet d'auteurs russes (Gogol, Tchekov, Pouchkine), entre 2 personnages qui se lancent des défis sur la façon de "croquer" un visage.
Puis l'arrivée à Yalta, découverte de cette ville avec ses cyprès et le jeu du soleil.
Mais qu'elle est la relation entre Tatar et le narrateur (barroudeur)
Dès qu'on prend ce livre on ne le lâche plus, on veut savoir quel lien les unis, les divises. Mais qui sont-ils???
vendredi 29 avril 2011 à 12h24
j'ai assisté a une tres jolie lecture de ce beau texte, je l'ai meme offert !!!
jeudi 23 juin 2011 à 08h51
pour moi la grande déception .le thème me plaisait le billet de Joël était bien tourné ,
ce fût une véritable pensum à lire ;je n'en voyais pas la fin J'ai trouvé l'écriture sophistiquée le texte confus ,j'avais l'impression de tourner en rond Bref j'ai détezté!!
jeudi 23 juin 2011 à 10h08
Déroutant, comme l'a signalé Joël, oui. Mais c'est justement ce qui m'a séduit dans ce texte très malin. Cette relation entre le voyageur et le Tatar, est intrigante par son ambiguïté, à l'image de cette ville dont la position géographique entre l'Asie et la Méditerranée l'a soumise à des influences convergentes et contradictoires. Et, même un brin "sophistiquée" (un emprunt à Sylvaine), j'ai beaucoup aimé l'écriture et les superbes descriptions. Il faut dire que j'adore les cyprès.
jeudi 23 juin 2011 à 10h32
Là, je me suis ennuyée et je l'ai mis dernier dans mon classement. J'ai trouvé le texte non pas "sophistiqué" comme dit sylvaine, mais carrément prétentieux.
jeudi 23 juin 2011 à 11h15
Pour moi ce roman a été une belle surprise ! Parce que cette couverture bleue hideuse n'invite pas tellement à la lecture. Bref, j'ai été sous le charme de ce voyage, j'ai beaucoup apprécié
jeudi 23 juin 2011 à 21h54
Et bien pour moi c'est le meilleur livre de la sélection avec "l'embrasure". J'ai fait escale à Yalta et j'ai trouvé cela très rafraichissant. C'est léger, enlevé et tonique. Ce duo improbable dans ce train m'a fait pensé au "canapé rouge" de Michèle Lesbre que je voulais justement chroniquer. Et puis ce duo devient trio et le charme opère. Oui merci Joël de nous avoir fait découvrir cette halte, sans toi je ne saurais rien de Yalta, l'erreur est maintenant corrigée.
vendredi 24 juin 2011 à 18h12
mon seul vrai coup de coeur de la sélection!j'ai lu l'ouvrage d'un trait et me suis régalée des aventures de ce "duo improbable" comme dit Alice-Ange,des descriptions et des noms exotiques qui parsèment le récit.Pour moi, le mot Yalta évoque désormais autre chose que des accords...merci Joel!
dimanche 26 juin 2011 à 11h18
Un très beau roman, qui m'a totalement séduite. Il m'a évoqué la Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, de Cendrars. J'ai été toute entière happée par l’ambiguïté qui règne dans ce roman, dans le lien entre les deux personnages.
Un tour de force.
L'écriture est puissamment évocatrice, elle fait naitre des images, des tons, des gouts même. Un grand moment d'exotisme et de poésie. Pour moi, ce roman là venait aux côté de la Colère du Rhinocéros, en seconde posistion ex aequo si cela avait été possible, mais toujours loin derrière l'Embrasure. Il m'en reste un souvenir sépia
dimanche 26 juin 2011 à 21h16
Mais pourquoi l'écriture a-t-elle été tant surtravaillée de manière artificielle? L'ambiance, notamment dans le train, est remarquablement rendue, la structure du texte se tient, on pourrait s'immerger dans cet univers, sauf que... sauf que la recherche sur le style, souvent gratuite et redondante tient à distance.
jeudi 30 juin 2011 à 23h06
J'ai été complètement embarquée par ce roman, dès la première page. Je n'arrive pas à expliquer ce qui m'a tant plu ! j'ai même pris plaisir à relire certains passages. Peut-être est-ce le mélange entre une atmosphère poétique et la réalité politique de ces pays, qui apparait en filigrane. Ça m'a donné envie de voyager et de reprendre le train... pour avoir "les joues toutes striées des rails d'un rêve"...
lundi 11 juillet 2011 à 21h29
J'ai aimé les premières pages que je trouvais pleines de poésie, mais je me suis ennuyée au fur et à mesure de l'histoire. J'ai énormément de mal à finir mais je veux tout de même arriver à la fin.