Une vieille femme est assise sur une chaise dans le parc de l'asile de Montdevegues, près d'Avignon. Depuis trente ans, elle attend patiemment les visites de son frère. Il s'appelle Paul Claudel. Elle, donc, est Camille.
Michèle Desbordes nous raconte les dernières années de Camille, internée par sa famille. Elle raconte ce qui lie le frère et la sœur.

Sans mots inutiles, sans bruit, comme une chanson triste, comme l'écrivait Edmonde Charles-Roux, Michèle Desbordes raconte le destin, la vie de passion de Camille, trop en avance sur son temps, si pleine de vie, d'énergies et sans concessions. Pour tout cela sans parler de l'absence d'amour voire une vraie haine de la mère à l'égard de cette fille si peu respectueuse des bonnes manières de l'époque, Camille sera abandonnée chez les fous. Seul Paul son frère viendra la visiter de temps en temps, puis de loin en loin en fonction de ses voyages à l'étranger. Paul est celui qui la comprend le mieux, celui aussi qui n'a rien fait pour éviter cette ignominie, cet enfermement.

Dans un style particulier fait de longues phrases aussi longues que le temps d'attendre, de dialogues insérés sans distinctions particulières dans le flot des pensées, de petits passages répétitifs pour marquer le refrain, le rythme de cette chanson de l'attente, de ce temps immobile, l'auteur exprime une poésie d'une beauté sans nom, pleine de compassion pour le sort réservé à cette femme de feu qu'était Camille. Elle raconte le passé de l'enfance, les liens étroits avec son frère Paul, l'époque de la sculpture dans l'atelier du maître Rodin, sa liaison foudroyante, déchirante avec lui. Elle illustre ce destin hors du commun avec des références fort bien choisies à certaines œuvres de l'artiste.

M. Desbordes raconte « ce que c'est que la fin des choses. »

Difficile de choisir un passage pour l'extrait. Difficile d'en dire plus car ce serait alourdir une écriture d'une légèreté, d'une poésie admirable. Une écriture qui vous laisse cloué, pantois d'admiration. Il faut lire ce récit qui vous prend par le cœur, qui vous habite l'âme longtemps encore. De la beauté à l'état pure, comme les œuvres et la vie de Camille.

Du même auteur : La demande, L'habituée, Un été de Glycine, L'Emprise

Dédale

Extrait :

Et la sculpture elle l'apprenait, personne n'aurait pu dire qu'elle ne l'apprenait pas, même ceux qui observaient qu'elle n'avait sans doute pas besoin de ça ; que déjà elle savait. Elle apprenait comme on apprend quand déjà l'on sait, comme elle apprenait ce qui venait, ne pouvait que venir et qu'un temps encore elle ignorait, ne se ménageant guère et le soir boitant comme ceux, dit-on, que quelque chose tourmente au point qu'ils ont à le cacher, petite et menue avec sur le visage cette beauté dont tous parlaient, ces yeux, ces cheveux qui faisaient sa splendeur, et bientôt le maître en était amoureux comme jamais il ne l'avait été, lui Rodin dans cet atelier de la rue de l'Université où il la prenait pour élève et où elle se rendait à présent chaque jour, se tenant toujours sur le même petite chaise près des portes du fond, personne d'autre qu'elle ne s'asseyait sur cette chaise-là, ne se tenait de la sorte dans ce coin de l'atelier, elle l'appelait monsieur Rodin, il parlait ou simplement la regardait en silence, cependant qu'elle pétrissait tout ce qu'il y avait à pétrir de glaise et de terre, elle pétrissait, modelait pour lui des mains et des pieds, il disait que c'était ainsi que l'on commençait, elle pétrissait comme si elle commençait, elle ne pensait qu'à pétrir, à commencer, sitôt qu'elle en avait fini avec la terre disant qu'elle allait tailler la pierre, travailler à quelque chose qui devait apparaître, surgir de la masse informe, et qu'elle voyait très vite, très vite elle voyait ce qu'allait devenir la pierre, à grands coups de maillet, à coups de rage, de ferveur.

La robe bleue
La robe bleue de Michèle Desbordes - Éditions Verdier Poche - 155 pages