Jason, l'argonaute est venu au royaume de Colchide pour y trouver la Toison d'or. Pour se faire, il va être aidé par les pouvoirs de magicienne de Médée la fille du roi, tombée amoureuse de lui. Mais Jason, la Toison emportée, va trahir la mère de ses fils. Par vengeance, Médée tue ses enfants. C'est à ce moment du mythe que Laurent Gaudé fait débuter sa pièce de théâtre.

Médée a tué ses enfants mais toujours ses pas la ramènent sur la tombe de ses fils. Il lui est insupportable qu'ils reposent en terre grecque. Elle revient pour les emporter en sa terre natale. Sur le chemin, sans jamais la voir, elle sent dans son dos une présence. Elle est suivi par un homme qu'elle ne connaît pas, qui obstinément ne s'approche jamais. Peut être connaît-il le terrible pouvoir de Médée, un pouvoir terrifiant que bien des hommes ont eu le malheur de subir ? Cet inconnu sera-t-il son amant ou celui qui la vaincra ? Osera-t-il croiser le regard de cette femme en colère, pleine de rage ? Car nul ne survit au regard de Médée. On pourrait de suite penser au regard d'une des Gorgones, mais il n'en est rien. La Médée de L. Gaudé vient d'ailleurs, de beaucoup plus loin, des bords du Gange. Née sans parents, elle a été élevée par les plus pauvres de la ville, les parias, les pestiférés. Très tôt, Médée démontre un talent pour la danse. Et telle Kali, les figures de ses mains, ses pas enflamment la terre et les cœurs des hommes et sème la mort.

Après Euripide, Sénèque ou Corneille, pour ne citer qu'eux, quel challenge que d'écrire sur ce mythe, sur cette femme trahie ! Dans un style toujours aussi fort, sobre, aux mots et rythme percutants, Laurent Gaudé en fait une femme toute puissante, forte de sa colère, de sa vengeance et de ses pouvoirs dévastateurs. Elle n'en restera pas moins une mère aimante et toujours aimée de ses enfants à qui elle offre les eaux du fleuve Gange pour dernière demeure. Surprenante association que celle entreprise par l'auteur : la mythologie grecque et une des plus puissantes divinités hindouistes, Kali, déesse de la mort ! Il en résulte un portrait de femme peu ordinaire, qui m'a fait pensé à Salina (pièce également écrite en 2003), pour sa détermination, pour son amour de mère. Blessées, comme des hyènes, des lionnes, elles vont jusqu'au bout de leur vengeance.

À lire pour le mythe, la fusion des divinités et surtout la puissance du verbe.

Dédale

Du même auteur : Ouragan, Dans la nuit du Mozambique, La porte des enfers, Onysos le furieux, Sodome, ma douce, Cendres sur les mains, La mort du roi Tsongor, Sofia Douleur, Salina, Pluie de cendres, Combat des possédés, Le soleil des Scorta, Cris, Kaboul, Les oliviers du Négus, Pour seul cortège

Extrait :

Mais tu me suis toujours.
Tu es têtu.
C'est bien.
Partout il n'y a que silence.
Les animaux me fuient,
Le vent tombe pour ne pas souffler dans mes cheveux.
L'eau se fige dans les ruisseaux.
Toi seul, tu vis,
Dans mon dos,
Sur mes pas.
Je sens cette chaleur d'homme derrière moi.
Tu me suis.
Depuis plusieurs jours, tu me suis,
Au pas lent de ton cheval,
Sans oser t'approcher.
Depuis plusieurs jours,
Tu ne te laisses jamais distancer mais tu prends garde à ne pas trop t'approcher.
C'est bien.
Tu es intelligent.
C'est bien.
Tu te tiens à distance.
Tu sais qui je suis.
Tu as décidé de suivre Médée.
Il faut du courage et tu en as.
Eh bien regarde :
Ces silhouettes voûtées sur le bord du chemin,
C'est moi qui ai figé leur sang,
C'est moi qui ai interrompu leur marche et le cours de leur vie,
D'un seul regard.
Oui, cette route est la mienne.
Viens, suis-moi, je t'emmène, qui que tu sois, je t'emmène au tombeau, si tu ne trembles pas.

Médée Kali
Médée Kali de Laurent Gaudé - Éditions Actes Sud-Papier - 43 pages