Finaliste du Prix Biblioblog 2011
(Lire les avis des autres membres du jury des Biblioblogueurs en suivant ce lien et ceux du jury des lecteurs et des internautes dans les commentaires du billet)
Depuis la fin du mois d'août, j'attendais un roman de la rentrée qui me prenne totalement dans son univers. C'est chose faite avec cette Colère du rhinocéros, un premier roman aux accents surréalistes et à la tension narrative puissante.
Un vol de corbillard et de macchabée, un phare perdu dans un champ de blé, un géant surnommé l'Esquimau qui dialogue avec un mulot, une femme qui pêche des poissons dans les prés, un défibrillateur en forme de sachet de frites surgelées, un camp de gitans et un rhinocéros. Ce qui pourrait ressembler à un inventaire à la Prévert constitue le décor du premier roman choral de Christophe Ghislain.
Parmi les narrateurs, il y a Gibraltar qui accumule les petits boulots depuis des années. Le dernier en date, un emploi dans une entreprise de pompes-funèbres. Mais voilà qu'un beau matin, se sachant très malade, il plante tout, et au volant du corbillard de son patron, il retourne à Trois-Plaine, son village natal. Mais à Trois-Plaine, personne ne veut plus entendre parler ni de lui, ni de son père, Arthur. Trop de mauvais souvenirs sont liés à la personnalité controversé du paternel. Il faut dire qu'Arthur avait tout du Don Quichotte. Mais en lieu et place de moulin à vent, c'était la mer qui occupait toutes ses pensées ; la mer qu'il voulait ramener à Trois-Plaines.
Malgré l'accueil frigorifique, Gibraltar s'installe dans la demeure familiale et tente de retrouver les traces de son passé.
L'Esquimau, le deuxième narrateur, n'est pas natif des Trois-Plaine. Il est une pièce rapportée. Un géant inquiétant autour duquel circule tout un tas de rumeurs et qui vit dans une grotte. Et puis, il y la Emma, la voix féminine de ce roman. Emma, la petite fille d'Annie la tenancière de bordel ; la belle et envoûtante Emma qui attire les regards des hommes.
Ma lecture a commencé par un grand éclat de rire et un parallèle immédiat avec Arizona Dream d'Emir Kusturica et Dead Man de Jim Jarmusch. Dans le roman, comme dans les films, il est question de personnages un peu paumés et un peu rêveurs mais hauts en couleurs, de situations doucement surréalistes et poétiques, d'un lieu désertique oublié du reste du monde. Je me suis d'ailleurs rendue compte au cours du roman que cette filiation est pleinement assumée par Christophe Ghislain puisqu'il fait référence à ces deux réalisateurs.
La Colère du Rhinocéros commence comme un roman d'ambiance et Christophe Ghislain excelle dans cet exercice. En alternant les trois voix, il installe doucement les éléments, nous fait découvrir petit à petit ses personnages (leur passé, leurs interrogations, leur mal-être) et l'on pourrait s'attendre à ce que le récit soit une simple succession de scènes loufoques porté par un rythme, certes agréable, mais plutôt paisible.
Sauf que sans que l'on s'en rende compte, il nous prend dans ses filets et on est tout à coup plongé dans un suspens haletant alors que l'action elle-même semble statique. Il y a une vraie maitrise de la tension narrative, d'autant plus surprenante qu'elle ne tient à trois fois rien. Christophe Ghislain dissèque ses protagonistes et les relations qu'ils entretiennent. Il nous parle de rêves, d'amour, de jalousie, de sexe, de vengeance, d'héritage, etc. De toutes ces choses qui assemblées forment une existence.
Et si cela fonctionne aussi bien, c'est qu'au-delà de la simple intrigue, il y a un vrai parti pris dans le style. L'écriture de Christophe Ghislain est faite de ruptures. Chacun des narrateurs a une façon bien à lui de s'exprimer et à l'intérieur même de chaque chapitre, l'auteur alterne les passages poétiques, introspectifs et narratif. Parfois, le flot des mots s'accélère pour rendre compte de l'agitation d'un narrateur. D'autre fois, l'écriture devient presque cinématographique et l'on perçoit les champs/contre champs et les travellings.
Je parlais tout à l'heure de l'influence de Kusturica et Jarmusch mais il faudrait y ajouter celles de Begnini, Fellini ou encore Lynch et Almodovar (tous cités à un moment donné dans le roman). Christophe Ghislain, s'il est nouveau en littérature, est par ailleurs réalisateur et cela explique sûrement pourquoi son écriture est si visuelle. Et tant qu'à être dans les parallèles, ce roman m'a fait penser, par son ambiance, au superbe On ne boit pas les rats-kangourous d'Estelle Nollet. Si donc vous aviez aimé le roman d'Estelle Nollet, vous devriez vous aussi tomber le charme de ce rhinocéros.
Chaque année, je guète les premiers romans en espérant trouver un souffle nouveau, quelque chose de différent, un univers particulier. Un premier roman qui me ferait oublier que c'est un premier roman. Je n'ai bien sûr pas fini d'explorer cette rentrée littéraire, mais La Colère du Rhinocéros fait à coup sûr parti de cette famille et je ne suis pas prête de l'oublier.
(D'autre avis, ailleurs dans la blogosphère : Elfique)
Laurence
Extrait :
J'avais la tronche de travers, mais la fatigue n'expliquait pas à elle seule la profondeur de mes traits et l'amaigrissement de mon visage. Inutile de raconter des histoires. J'ai empoigné une bouteille d'eau côté passager et m'en suis balancé sur le front. Je me suis résolu à enlever mes lunettes. Vraiment trop petites. Et puis je me suis frotté la figure tandis que la flotte dégoulinait. J'ai repris la bouteille pour me rafraîchir encore, et j'ai fermé les yeux un bref instant pendant que l'eau coulait dessus. La meilleure sensation de ces derniers jours.
Mes cheveux dégoulinaient encore et troublaient ma vue quand j'ai rouvert les yeux. Mais la route restait invariablement rectiligne, et personne ne passait par là. Pas de quoi s'affoler. Je n'avais pas croisé la moindre voiture en une heure. Alors il m'a fallu une ou deux secondes pour réaliser.
La plupart des gens n'aiment pas les accidents de bagnole. Moi je ne savais pas, mais je m'étais toujours dit qu'il devait y avoir de bonnes raisons, alors j'ai fait ce que la plupart des gens auraient fait à ma place : j'ai enfoncé le frein et essayé de braquer. Trop tard évidemment.
Je suis resté une minute sans bouger. Puis une autre à reprendre mon souffle. L'airbag n'avait pas fonctionné mais je choc n'avait pas été si violent et je m'en sortais sans rien de méchant.
La bête aussi d'ailleurs.
[...]
J'ai laissé filer un peu de temps, histoire de me remettre, puis je suis sorti du corbillard. J'ai fait quelques pas le long de la route. L'air était sec. La journée allait être chaude. J'ai gueulé un grand coup et je me suis couché sur le bitume en riant comme un con. La tête me tournait. Mais je n'avais pas peur : personne ne passait jamais pas là. Juste une poignée de caravanes, il y a longtemps. Puis une bande de mômes.
Et un rhinocéros.
La colère du rhinocéros de Christophe Ghislain - Éditions Belfond - 331 pages
Commentaires
samedi 20 novembre 2010 à 23h51
quel beau billet Laurence.Il traduit
exactement l'ambiance surrealiste de ce roman.Pour moi c'est un vrai
coup.de.coeur à dêcouvrir en urgence
dimanche 21 novembre 2010 à 08h30
Sylvaine : ton commentaire me fait vraiment plaisir car je crois que pour le moment c'est ce que j'ai lu de plus beau dans les parutions de 2010. Est-ce que par certains côtés, cela ne t'a pas fait penser au roman d'Estelle Nollet (dans l'ambiance, peut-être) ?
dimanche 21 novembre 2010 à 10h49
Non pas vraiment surtout car ici il y a une route qui mène quelque part...
C'est un livre superbe la désespérance la colère la résignation des personnages peuvent faire penser au roman d'Estelle Nollet mais il n'y a pas cette ambiance 'mystique' qui m'avait beaucoup genêe. J'espère que Christophe Ghislain persévèrera dans l'écriture
dimanche 28 novembre 2010 à 12h22
J'espère aussi et je serai curieuse de voir le long métrage qu'il a déjà réalisé.
mercredi 4 mai 2011 à 15h24
J'ai lu ce livre pendant les vacances de Pâques et pour moi aussi ce fut un coup de coeur, avec Planète à louerque j'ai lu à la suite.
dimanche 8 mai 2011 à 13h16
Merci Caroline. En espérant que ce ne soient pas les seules belles découvertes que vous ferez en venant glâner ici.
lundi 20 juin 2011 à 08h14
Eh bien, voilà encore un roman aux réactions fort intéressantes
lundi 20 juin 2011 à 08h20
Dédale : ce roman a fini premier exæquo chez le jury des lecteurs. Je suis donc, tu m'imagines bien, impatiente de lire leurs retours.
lundi 20 juin 2011 à 08h29
C’est le premier livre de cet auteur que je lis et c’est aussi une très belle surprise! Au regard du titre, on est très loin de s’attendre à une histoire de ce genre. Celle ci tourne autour des personnages principaux Gibraltar, l’Esquimau et Emma qui fouille le passé, cherche des réponses et revive toutes les années passé grâce au retour de Gibraltar. L’auteur met de la poésie dans chacune des ses pages par petites touches plus ou moins subtiles ce qui rend ce livre non seulement intéressant et bon mais également beau. Il réussi avec brio à nous faire ressentir à travers ses mots toutes sortes de sentiments divers et variés et ne nous laisse pas indemne. Chaque fois que je fermais ce livre avant de l’avoir terminé j’y pensais toujours à tel point qu’il me fallait y retourner et le terminer! Le style de l’auteur est fluide, le texte coule tout seul, à travers une bulle, un monde à part où l’auteur à su me transporter et que j’ai apprécié à sa juste valeur. C’est un coup de coeur pour moi non seulement parce que c’est une invitation au voyage dans une atmosphère unique que seul l’auteur à su faire parler, mais également par la justesse de son écriture sans fioritures, sans tourner autour du pot, qui lui donnait un air réel et tellement vrai. Et en même temps c’est un peu une leçon de vie, sur la vie en elle même et ses aléas.
Je n’en dirai pas plus pour ne pas faire de spoilers mais je vous conseille vivement ce livre qui est un coup de coeur et que je n’oublierai pas de sitôt.
lundi 20 juin 2011 à 09h01
Désolée de ne pas m'associer à ce concert de louanges,mais je n'ai pas du tout aimé ce roman,que j'aurais laissé en route si je ne m'étais pas engagée à lire tout et jusqu'au bout.Ce bric à brac de personnages insolites(?)et de lieux improbables, les références un peu écrasantes pour ce livre de cinéastes que j'aime par ailleurs, tout celà ne suffit pas à faire une oeuvre. N'est pas Steinbeck qui veut!mais bon, on peut dire aussi que je suis passée à côté de ce Rhinocéros. ça arrive...
lundi 20 juin 2011 à 10h13
Moi, ce qui m'a séduit dans ce livre que j'ai placé en tête de la sélection,en plus de tout ce qui a déjà été dit, c'est le grain de folie qui traverse toute l'histoire. J'ai craqué sur la pèche dans le pré et j'ai gardé dans la tête beaucoup de poésie et une grande tendresse.
lundi 20 juin 2011 à 10h15
je confirme c'est et cela reste mon grand coup de coeur de cette année mais je peux comprendre que ce texte soit adoré ou détesté avec la même intensité!
lundi 20 juin 2011 à 11h40
Comme Marimile (mais pas au point de ne pas avoir aimé), j'ai trouvé l'ensemble de ces personnages et des situations sans grande unité. Et surtout, je n'ai pas été pris par la narration à 3 voix, que j'ai trouvé artificielle. Mais les autres lecteurs ont semble-t-il été d'un autre avis
lundi 20 juin 2011 à 14h19
Et bien ce livre a été pour moi une grosse déception je pensais adhérer à ce roman mais non pas du tout ! Mais alors pas du tout et je ne suis absolument pas arrivé à rentrer dedans !!!!
lundi 20 juin 2011 à 16h38
Une déception pour moi aussi. J'ai largement préféré "Les rats-kangourous" puisqu'il y est fait référence dans le billet. J'ai mis bcp de temps à le lire, la narration à 3 voix m'a paru un peu bancale, mal construite, et je n'ai pas du tout accroché aux personnages. J'ai eu une impression de trop : trop de personnages barrés, trop de situations décalées, bref... dommage pour moi, peut-être ! (heureusement, j'ai trouvé mon bonheur ailleurs ds la sélection !!;-))
lundi 20 juin 2011 à 20h19
Désolée, mais je rejoins Yohan dans l'idée que la narration est artificielle. Oui j'ai pensé au "rats-kangourous" mais j'avais préféré l'ouvrage primé l'année dernière.
Personnellement je n'ai pas réussi à entrer dans l'histoire. J'ai trouvé les premières pages très laborieuses. Le roman s'améliore un peu sur la fin selon moi, mais je suis restée en dehors. Et le style surtout est loin de m'avoir convaincu, loin de là : toutes les négations - par exemple - ne comportent aucun "ne": je trouve personnellement que le langage parlé a ses limites une fois édité.
mercredi 22 juin 2011 à 20h34
Mon préféré! J'admets volontiers certaines critiques quant au style. Cependant, j'ai été, d'emblée, emporté dans l'histoire (c'est vrai qu'il s'agit presque d'un scénario de cinéma) et j'y ai trouvé un immense plaisir de distraction, au sens premier du mot. Le genre choral me convient, en plus associé à une distorsion de la réalité, pour éviter de parler de surréalisme.
mercredi 22 juin 2011 à 22h02
Ah le rhino et ses trois de sommeil sans rêves. J'ai été transporté par ce récit dramatique comme celui d'Estelle Nollet l'année dernière. Drame puisqu'il se meurt, qu'il essaie tjs de comprendre les desseins fous de son père, que son couple ne va pas très bien et puis des histoires louches, règlements de comptes,tentative de viol mais aussi nostalgie des amourettes de son enfance. Ce qui surtout le rend superbe c'est toute cette poésie omniprésente à la fois du domaine des rêves quand on voit Gina pêcher dans le sable depuis son hydravion, à la fois drôle où à la station on réanime l'ancien à grands coups de sacs de frites congelées. Bref un roman à lire absolument pour un grand moment d'évasion
samedi 25 juin 2011 à 16h54
Christophe Ghislain signe là un très beau roman. Pour moi, c'est incontestable. Un univers riche, baroque, des hommages évidemment au cinéma...MAIS, peut être bien une espèce de surenchère de faits inutiles dans le récit.
En tous cas, une très belle lecture tout de même, sur les rapports au père, au couple, à la maladie, au rêve et au Temps...une galerie de portraits intéressante, une écriture "rien à redire", mais rien de novateur/totalement novateur non plus.
J'ai été bluffée par la capacité de l'auteur à brouiller les pistes de lieux, avec un mélange des patronymes et des noms géographiques détonnant et peu conventionnel qui crée un vrai exotisme, un peu il est vrai à la manière d'Estelle Nollet dans __On ne boit pas les rats kangourous.
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A lire sans hésiter mais n'a pas su créer la révélation qu'a été pour moi, L'Embrasure.
dimanche 26 juin 2011 à 21h22
Des choses attachantes, dans ce rhino, mais l'ensemble ne m'a guère semblé original. Il me semble avoir lu plus convaincant dans le genre chez des auteurs anglo-saxons.