S'il y a un point commun à presque toutes les nouvelles de ce recueil, c'est ce rapport à l'histoire. Dans certaines, comme les deux premières, on y plonge aux côtés des protagonistes. On partage ainsi la vie d'Antoine Varlot, soldat de la guerre de 14-18, condamné à mort et fusillé pour avoir chanté un air interdit. Puis c'est l'histoire d'un jeune ouvrier, qui vit les grèves de 1936, les espoirs et les désillusions qui ont suivi. Mais à chaque fois, Daeninckx ne se limite à une simple description de ce passé, mais évoque les conséquences de ces actes dans un futur proche, par l'intermédiaire d'un monument aux morts ou par l'action d'une enfant lors de mai 1968.

Dans d'autres nouvelles, l'histoire parvient jusqu'aux personnages de manière inattendue. Dans Gare aux enchères, alors que les nouveaux propriétaires d'une ancienne gare pensent avoir trouvé l'endroit rêvé, ils découvrent que les rails ont servi autrefois à conduire les convois dans les camps de détention de Pithiviers ou de Beaune-la-Rolande. Dans Vestiaires, la découverte d'ancien casiers des ouvriers d'une usine sucrière fait remonter l'histoire de ce passé industriel. Et parfois, les recherches historiques n'aboutissent pas, comme dans la dernière nouvelle, où un personnage cherche à retrouver un homme ayant porté son nom quelques années auparavant.

Mais la marque de fabrique est également de mettre en avant le destin d'hommes oubliés. Comme celui de Jacques Benzara, jeune tunisien invité à venir à jouer au football au Red Star, en banlieue parisienne, qui deviendra une vedette de l'équipe de France d'avant-guerre, mais qui sera victime des lois racistes du régime de Vichy. Personnage fictif, il est néanmoins inspiré du destin d'un boxeur, Young Perez, qui a connu le même parcours. Dans Le dernier guérillero, on découvre la rencontre entre un jeune homme et le gardien de son foyer de jeunes travailleurs, qui s'avère être un ancien combattant républicain espagnol. Homme qui a combattu pour la liberté, et qui se verra refuser la nationalité à la fin de sa vie, alors que son fils a réussi à devenir député.

Toutes les nouvelles n'ont néanmoins pas cet aspect historique. On passe ainsi d'une histoire inspirée de la vie de Jean-Dominique Bauby, cet handicapé qui ne s'exprime qu'en clignant des paupières, à celle d'un tueur en série d'autostoppeur, en passant par celle d'un Père Noël perdu en Nouvelle-Calédonie. Daeninckx ne se prive d'ailleurs pas pour avoir un regard sur le société contemporaine, comme dans cette nouvelle, En attendant Rodolphe..., dans laquelle il fustige la rigidité de l'éducation et de la pensée bourgeoise et militaire. Un recueil qui fait voyager, dans le temps et l'espace, et qui porte un regard sans concession sur notre société, en essayant de faire appel à notre histoire, pour que le lecteur n'oublie pas d'où il vient.

Du même auteur : Nazis dans le métro, Cannibale et Rue des degrés in Paris Noir

Yohan

Extrait de Le carton jaune :

- Mais qu'est ce que tu nous fais, Benzara, tu n'as jamais vu la neige ?
Il faillit répondre que, justement non, haussa les épaules et sprinta pour recoller à la petite troupe qui longeait les tribunes. Le contrat signé pour deux années avec le club de Saint-Ouen lui assurait le gîte et le couvert, ainsi qu'une maigre mensualité qui lui permit de traîner aux Puces pour acheter des vêtements adaptés au climat et de faire quelques incursions dans Paris. Il logeait en compagnie d'un autre joueur, un exilé italien, dans une pension de la rue du Landy, face à l'entrée secondaire des ateliers des automobiles Hotchkiss. Ailier droit, Angelo, originaire de Milan, avait fui l'Italie de Mussolini, et il lui arrivait de quitter sa chambre, à la pointe du jour pour donner le coup de poing aux côtés des communistes qui, à l'embauche, distribuaient des tracts contre Doriot, le député-maire de Saint-Denis. Jacques se contentait d'observer les empoignades depuis sa fenêtre. Seuls les combats qui se déroulaient sur la pelouse d'un stade l'intéressaient

Le dernier guerillero
Le dernier guérillero de Didier Daeninckx - Éditions Folio - 288 pages