Un commando d'Elfe rejoint le contingent en Inde.
Ils ont pour mission de former les hommes aux techniques de combat en milieu forestier.
La mission est simple : s'infiltrer derrière les lignes ennemies. Saboter. Sortir vivant.
Simple pour un soldat.
Seulement le contingent abrite un civil dans ses rangs. Un civil que le sorcier elfe a déclaré indispensable à la réussite de cette mission.
Un obscur professeur de langues d'Oxford, auteur d'un conte pour les enfants mais qui maîtrise l'elfique comme personne.
Un certain J.R.R. Tolkien.

Christophe Lambert (aucun lien avec l'acteur) est un auteur français très prolifique. L'un des rares à pouvoir vivre de sa plume.
Doté d'un imaginaire très riche, il joue avec les genres et les styles, passant des elfes aux zoulous pour repartir dans la mythologie grecque (si l'on ne considère que ses derniers romans).
Il livre ici un récit intelligent et construit, rempli de références et bourré d'action.

L'un des paris du roman est d'amener le lecteur à concevoir un univers connu et une période plutôt sombre de l'histoire comme le théâtre d'événements fantastiques. Partant de là, il n'y a qu'un pas pour inciter le lecteur à accepter l'existence des Elfes et de toute autre créature imaginaire (enfin, ça dépend pour qui…). Et surtout de concevoir que Tolkien puisse également devenir un personnage de fiction. C'est sans doute là la partie la plus ardue, car les puristes auront du mal à accepter certaines prises de position de la part de l'auteur. Car il faut bien sûr que le personnage vive. Et pour ma part, le pari est réussi. Christophe Lambert créé un univers cohérent, s'appuyant sur une documentation abondante et, notamment pour la création du personnage du Professeur, des extraits de lettres ou de manuscrits qui permettent de le faire vivre sans trahir l'original. D'ailleurs la démarche est plutôt intéressante car elle donne pour un temps la parole au Professeur face à des détracteurs de son travail, ce qui permet d'avoir sa vision (documentée par sa nombreuse correspondance) de ce qu'il créée à cette époque.

En effet, au moment où l'histoire se déroule, Tolkien est en pleine rédaction du Livre III du Seigneur des Anneaux (en fait, la première partie de ce qui sera appelé Les Deux Tours). Du coup, le lecteur assiste d'une part à la création de l'œuvre à travers les yeux même de l'auteur (ce qui est assez plaisant) et en parallèle suit l'histoire principale sur fond de guerre du Pacifique.

Si la mise en scène et le personnage du Professeur m'ont énormément plu, j'ai été en revanche un peu déçu par les Elfes.
Ils sont distants et froids, plutôt anti-socials et relativement antipathique. Seul Cealendar, le métis, offre un caractère un peu intéressant au lecteur. Pour le reste, c'est assez lisse et au final, malgré l'aura de mystère dégagé par ce commando d'immortels, on regrette un peu leur présence. Lambert aurait sans doute pu jouer beaucoup plus sur les interactions entre les elfes et les hommes, mettre plus en avant le rôle du Professeur au sein de cette compagnie atypique. Et peut-être ne pas évacuer aussi vite l'utilisation de l'elfique comme moyen de communication entre les troupes. Il l'évoque rapidement puis passe à autre chose. Bref, ces elfes manquent un peu de matière.

Pour le reste, l'ouvrage se lit agréablement. On passe un excellent moment auprès de ces hommes perdus dans l'enfer vert.
Le curieux pourra ensuite réviser son histoire tandis que l'amoureux des Terres du Milieu suivra avec délice les pérégrination du Professeur et les nombreuses références à son œuvre qui émaillent le récit.
C'est avant tout un ouvrage détente, à lire pour le plaisir. Mais on peut également y voir un autre niveau de lecture plus critique sur la société, la différence, le regard à l'autre et toutes les valeurs que l'on peut associer à l'humanité.
Quoi qu'il en soit, c'est à découvrir.

Cœur de chene

Extrait :

Wingate finit son verre de vin, puis lança :
— A mon tour de vous poser une question, professeur… Que vient faire un universitaire de cinquante ans dans une telle entreprise ? Nos collègues yankees sont restés très flous sur ce point
— Je n'en sais pas plus que vous, soupira Tolkien.
Foster haussa les épaules :
— Les Elfes veulent le professeur. Et nous voulons les Elfes. Personnellement ça me suffit.
— Quel sera le statut du professeur ? interrogea Wingate.
— Considérez-le comme un... opérateur indépendant, une sorte de journaliste qui suivrait nos exploits. D'ailleurs, le professeur Tolkien est écrivain, vous savez ?
Wingate opina :
— J'en ai entendu parler, en effet. (Puis, se tournant vers Tolkien : ) Vous faites des livres pour enfants, c'est bien ça ? Comme cette femme, Beatrix Potter ?
Les traits de Tolkien se chiffonnèrent.
— Il y a plus de dragons dans mes histoires que de mignons petits lapins, rétorqua-t-il.
Wingate parut ne pas relever l'acidité de son ton. Il questionna :
— Et vous parlez couramment l'elfique, m'a-t-on dit ?
— En effet, c'est une langue que je connais bien.
— Parfait. Il nous faut un code secret, pour les parachutages. L'elfique me paraît tout indiqué !
[...]
Soudain, une première goutte éclata sur une assiette, suivie d'une seconde, puis d'une troisième.
Masqué par la nuit naissante, le ciel s'était couvert. Tolkien n'avait rien vu venir.
— Je suggère un repli stratégique, plaisanta Foster.
Ils se levèrent et battirent en retraite sous la véranda du restaurant, bientôt imités par l'ensemble des clients. Les serveurs couraient dans tous les sens, débarrassant les tables dans un grand froissement de nappes. L'averse s'intensifiait.
— Seigneur Dieu, qu'est-ce que c'est que ça ? s'épouvanta Tolkien.
La pluie ne se contentait pas de mitrailler le toit en verre, elle le pilonnait littéralement. C'était comme si des milliers de bombes à eau explosaient au-dessus de la tête des convives.
— Cela change de vos crachins anglais, hein ? gloussa Foster, amusé par l'expression ahurie de l'universitaire.
— En effet, admit celui-ci.
Wingate posa une main amicale sur son épaule.
— Bienvenue aux Indes, professeur Tolkien.

Le commando des immortels
Le Commando des Immortels de Christophe Lambert - Pocket - 345 pages