La cour nord est des endroits de l'usine dans laquelle travaillent Léopold et son père, Gildas, une des figures du syndicat dans l'entreprise. Malheureusement, les années 80, dans le Nord de la France, ne sont pas une période de grande croissance économique et industrielle, et c'est peu de le dire. L'usine est donc menacée, et alors que Gildas débute une grève de la faim pour défendre les intérêts de ses collègues, Léopold est plus intéressé par le concert que son groupe de jazz doit faire à Lille.
Il est assez amusant de voir comment Antoine Choplin a réussi à mêler les deux aspects majeurs de cette nouvelle : l'usine, qui est le seul centre d'intérêt de Gildas, et le jazz, auquel Gildas ne comprend rien. A travers la confrontation de deux générations qui ont du mal à se comprendre et à éprouver de l'empathie pour les faits et gestes de l'autre, l'auteur dessine le fossé qui se crée entre père et fils. Et même lorsque Gildas met sa vie en danger, Léopold est très loin de toute l'agitation faite autour de son père.
Car pour lui, ce qui compte, c'est de se retrouver avec ses trois amis, pour pouvoir jouer, répéter. Cette plongée dans le jazz semble la seule porte de sortie qu'entrevoit Léopold dans le cadre fermé qu'il connait. Le concert au Biplan, à Lille, est un succès, et on pressent que les quatre compères ne vont pas se faire prier bien longtemps pour partir et vivre autre chose.
La description du monde ouvrier, que ce soit la solidarité des ouvriers d'autres usines, le café du coin ou le bus qui passe les prendre tous les jours, semble assez juste. Mais en épousant le point de vue de Léopold, le narrateur, le lecteur sent nettement que l'auteur a choisi le jazz comme moyen d'émancipation pour son personnage. Au moyen de parties introduites par des termes musicaux et avec une écriture sans fioriture, on suit avec plaisir ce combat générationnel, entre La place d'Annie Ernaux et Ressources humaines de Laurent Cantet pour les sujets abordés, regrettant simplement que cela ne soit pas un peu plus long et étoffé.
Du même auteur : Le Héron de Guernica, Apnées
Extrait :
On a joué jusque tard dans la nuit, et ça a été une bonne séance de travail. A la fin, on s'allonge à moitié par terre à même le lino avec nos cannettes de bière, les yeux dans le vague et Gasp redit :
Si on pouvait jouer comme ça la 7.
Et moi :
Ouais, enfin faudrait déjà qu'on joue le 7.
Ils se tournent vers moi et Serge me fait répéter.
Pourquoi tu dis ça ? il demande, et en même temps, il commence à se rouler une cigarette.
C'est juste à cause de ce qui arrive à l'usine.
On est trois à regarder les doigts jaunis de Serge répartir le tabac sur le papier gommé.
Le 7, c'est dans trois semaines. Je sais pas ce qu'il en sera au sujet de mon père. Pas sûr que j'aie la tête à jouer du Thélonious Monk. Et en plus, je ne sais pas trop comment les collègues de l'usine pourraient prendre ça.
Cour Nord d'Antoine Choplin - Éditions du Rouergue - 136 pages
Commentaires
mardi 30 novembre 2010 à 09h21
J'ai aussi beaucoup aimé ce roman (un peu court c'est vrai...), comme tous les récits de Choplin d'ailleurs
mercredi 1 décembre 2010 à 22h35
C'est pour ma part une première entrée dans l'univers de Choplin, j'y retournerai à l'occasion !