Chien est une jeune fille qui a déjà beaucoup vécu lorsque ses pas la mènent au Castel de Broe.
Elle y est accueillie en guerrière et rejoint l'ost du maître des lieux.
En quête de son passé et de son nom, elle suit les pistes qu'elle trouve mais ses pas toujours la ramènent au Castel de Broe, près de Bruec, le Chevalier Sanglier.
Ce premier roman de Justine Niogret est une petite perle dans les univers multiples des mondes imaginaires qui réinventent le moyen-âge.
Chaque page, chaque détail contribue à faire de ce roman une histoire originale et complète dans un moyen-âge plutôt sombre mais extrêmement réaliste (dans la mesure du roman).
L'univers se résume au Castel de Broe, à quelques noms de villages alentours, et aux forêts omniprésentes.
L'atmosphère est lourde du passé des lieux et de celui des hommes. Lourde des désirs et des envies que les hivers rigoureux font rejaillir, tandis qu'il n'est guère possible de faire autre chose que de se saouler encore et encore. Passer des jours à table, et la nuit à la même place, le nez dans l'assiette. Et puis, il y a Noalle, la jeune épousée de Bruec, le seigneur du Castel. Une jeune pucelle dont la seule occupation semble être de jouer de vilains tours et de rendre invivable le château à tous les convives, Bruec y compris.
Face à l'atmosphère lourde de l'intérieur du Castel, les sorties sont des bouffées d'oxygène.
Que ce soit pour aller chasser la bête, suivre une nouvelle piste avec Chien pour retrouver son nom ou simplement évoquer la cascade gelée derrière le château, les ambiances extérieures offrent un net contraste et permettent de replonger ensuite au milieu des hommes.
Pas de magie, pas d'artifices ni de sortilèges.
Toute la magie du roman réside dans la plume de l'auteur qui dès les premières lignes nous emporte dans un ailleurs, il y a quelques siècles, avec un phrasé atypique, quelques mots vieillis, des expressions médiévales et un vocabulaire ciblé. Pour les récalcitrants, l'auteur à prévu un lexique en fin de volume, lexique qui est aussi léger dans la forme que le roman est sombre dans le fond.
Seul le personnage de La Salamandre apporte une note fantastique dans un univers où même l'humour est noir... Bruec abattait les hommes comme un bûcheron fend son bois, et ses adversaires encaissaient les chocs comme le font les billots ; sans espoir.
Le tout se lit bien. Très bien même. Sans être un page-turner, ce roman n'en est pas moins très efficace et on se laisse volontiers prendre au jeu au fil des pages. La quête de Chien touche profondément et si le roman ne comporte pas énormément d'action pure (par rapport aux romans de Sam Nell ou de Laurent Poujois chroniqués récemment), la psychologie de l'héroïne et des personnages alentours est suffisamment bien maîtrisée pour accaparer toute l'attention du lecteur, ainsi que les multiples histoires jaillissant du passé des personnages. Chacun est à sa place et a une raison de s'y trouver.
Présenté comme un conte, l'histoire fait peu à peu figure d'épopée, allant parfois jusqu'à prendre un tour lyrique lorsque Chien raconte certaines histoires, ou que Bruec narre sa découverte du château.
C'est un premier roman qui met la barre plutôt haut dès le départ et qui tient son pari.
Une jeune auteur à suivre de près, et un roman à découvrir.
Du même auteur : Coeurs de rouille.
Extrait :
Imaginez que les noms n'existent plus. imaginez que votre garçon n'en puisse porter. Comment l'appelleriez-vous ? Claqueriez-vous des doigts pour le faire venir ? Le siffleriez-vous comme un chien ? Je commence à peine et je vous vois déjà grimacer, belle dame ; c'est pourtant ce que l'on fait de moi. On me fait accourir d'un sifflement et on me nomme Chien.
Je suis mercenaire, et je crois que le métier des armes n'a qu'un but : survivre. Que ce soit aux coups ou au temps. Je n'ai plus de famille, je l'ai perdue avec mon nom ; qui me pleurera lorsque je serai passée ? Je ne survivrai ni dans le regard ni dans les rêves de ceux que je laisse derrière moi ; je suis seule. Alors ne me reste que la chanson des armes et du fer pour me faire entendre. Mais comment raconter mes faits d'armes et mes combats, si je n'ai pas un nom à poser en souvenance de ma vie ? La survie par les histoires, c'est le seul nerf de celui qui tient une épée, belle dame ; il n'y en a pas d'autre. Vivre encore après son trépas, tout auréolé de gloire et de furie. Qui serait assez fol pour s'en aller se faire trouer la panse si personne, une fois mort, ne composait sa chanson ?
Un nom fait toute la différence, parce que tout ce qui a de l'importance, sur cette terre, en porte un. Les animaux que l'on aime, on leur en offre un, mais ceux que l'on veut ignorer, on les appelle proies et on les chasse jusqu'à ce qu'ils tombent, la gorge déchirée et tout emplie de leur propre sang. Que serait l'appel à l'aide d'un frère sans un Jehan ! à crier, et qui saurait l'entendre ? A quoi ressemblerait ce que murmure une pucelle amoureuse à son oreiller sans un Arnoul sur lequel pleurer ? Et le chevalier Personne ne perdrait-il pas de sa prestance, si, après avoir défait ses ennemis, il ne pouvait crier un Ruxende en honneur de sa dame ?
Une autre raison, oyez : des dieux m'ont vue naître, et comme je ne connais plus ma langue, je n'entendrai pas leur appel quand mon heure sera passée. Devrai-je errer dans le monde des morts comme je fais dans celui-ci ?

Chien du Heaume de Justine Niogret - Éditions Mnémos - 214 pages
Commentaires
vendredi 21 janvier 2011 à 18h32
livre assez sympa à lire pour ce prix littéraire inter CE 2011
Je ne sais pas encore quel classement je lui attribuerai mais dommage quelques fautes d'orthographe qui ont échappé à la vigilance des correcteurs.
jeudi 3 mars 2011 à 19h50
Lecture prenante, surtout pour la langue, la cohérence des images, l'évocation des éléments, des paysages surtout la forêt, des heures du jour ou des saisons, toujours sur le mode des sensations en accord avec les ressorts sensuels de l'héroïne.
e