Pandora, la narratrice, est une jeune femme indépendante, qui ne s'attache à personne, qui veut toujours tout maîtriser - et en premier lieu ses relations aux autres. Mais la mort de sa mère, début décembre, bouleverse tout. Non pas parce que Pandora se retrouve submergée par un trop plein d'émotions, mais parce qu'au contraire elle ne ressent rien hormis un grand vide.

Pour l'instant j'ai décidé d'aller nulle part. Je suis curieuse d'examiner ça sans l'intercession de quiconque. Doris n'aurait pas aimé que je ne fasse pas un minimum d'effort d'introspection. Malheureusement j'ai tendance à penser à des trucs sans importance, vraiment futiles. Je ne parviens pas à fixer dans ma conscience la forme de la douleur. Les pensées fondamentales me coûtent un effort extraordinaire. Je papillonne à droite à gauche. au lieu d'être assaillie par les souvenirs de Doris, d'être brûlée par ces souvenirs et de me décomposer sur place, je pense à Ike, à notre virée à Végas, dans l'Utah, je pense au type qui viendra réparer l'ascenseur de la résidence et qui repartira le soir même dans son quartier pourri pour rejoindre sa femme ou sa mère. C'est pas respectueux vis-à-vis de Doris. Mais c'est ainsi.

Après plusieurs jours enfermée dans son appartement de Los Angeles, Pandora décide finalement de prendre la route pour se rendre au Nouveau Mexique. Là-bas, vivrait une certaine Rebecca qui aurait des informations sur Doris. C'est en tout cas ce que laisse entendre un étrange faire-part de condoléances, signé par un certain Gil Sanders. Autant pour tenter de retrouver la mère qu'elle aimait dans son enfance que pour échapper à la folie de l'enfermement, Pandora se lance dans cet étrange périple.

Une grande partie de ce roman est donc le récit de ce voyage en solitaire. Pandora avale les kilomètres, traverse les paysages, dort dans des motels miteux et mange dans des pubs peu reluisants. Mais surtout, Pandora pense. Elle pense à sa vie actuelle, à ce qu'étaient ses relations avec sa mère ces dernières années, à son enfance pourtant heureuse. Pandora est intransigeante avec elle-même, ne s'autorise aucun relâchement, aucune faiblesse. Elle cherche à comprendre, à disséquer, à analyser. L'auteur alterne les monologues internes et les souvenirs d'enfance (facilement identifiables l'un et l'autre par la mise en page). Pendant plus d'une centaine de pages, on suit donc les errements de cette jeune femme un peu perdue parce qu'heureuse dans un moment où elle devrait être effondrée.

Et puis tout à coup, le registre change. Pandora est arrivée à destination et on comprend que Desert Pearl Hotel est plus qu'un simple road-movie littéraire. Au bout du chemin, il y a la révélation, le secret si bien gardé au fil des ans. Mais peut-être aurais-je préféré que l'auteur nous laisse bien avant quelques indices pour aiguiser notre intérêt.
Car si la plume de Pierre-Emmanuel Sherrer, dont c'est le premier roman, est extrêmement élégante et soignée, je ne suis pas parvenue à entrer complètement dans son récit. Si j'étais bien dans la voiture à côté de Pandora, je regardais le paysage défiler sans réel enthousiasme. Parfois, la plastique est superbe mais il manque ce charme indescriptible et indispensable qui donne une âme au récit.

(D'autre avis, ailleurs dans la blogosphère, recensés sur Blog-O-Book )

Laurence

Extrait :

Pandora, tu es en pleine forme. Tu n'as jamais jamais été aussi libre. À quoi rime ce voyage sans fin si ce n'est à te prouver que la mort de Doris t'as transformée ? N'aie pas honte de le dire, tu es soulagée. Et Doris, ta chère Doris, celle que tu avais perdue depuis bien longtemps, tu l'as dorénavant pour toi toute seule. Sais-tu seulement où tu vas à ce train d'enfer en défiant tes limites et la fatigue ? Tu fonces retrouver la Doris de tes douze ans, que dis-je, celle de tes huit ans, car celle de tes douze ans n'était déjà plus tout à fait la Doris indestructible que tu avais construite dans ta tête. D'ailleurs ralentis un peu, la visibilité n'est pas bonne, t'excite pas sur l'accélérateur, c'est pas la peine d'évacuer par les pieds ce qui te torture l'esprit. C'est ça, jette un coup d'œil à ton niveau d'essence. Presque à sec. Ça descend plus vite que t'imagine, hein ? Va falloir t'arrêter. Faire le plein. Mais il est inutile de te cacher la vérité. Tu es une femme heureuse. Tu te rends compte ? Ta mère est morte, morte, morte, tu la reverras plus, plus jamais, c'est fini, et toi, par chance, t'es une femme heureuse. Heureuse.

Desert Pearl Hotel
Desert Pearl Hotel de Pierre-Emmanuel Scherrer - Éditions de la Table ronde - 219 pages