Au départ, il y a un homme éconduit, blessé, qui veut faire le deuil de son couple en mettant une frontière entre son ex-épouse et lui. Au départ, il y a un petit garçon, Marino, qui  se promène quelque soit la saison avec son costume de cosmonaute soviétique et qui parle en secret avec Youri Gagarine. Au départ, il y a un père et son fils, partis en vacances pour quelques semaines sur les routes italiennes. À l'arrivée, il y a un très beau texte, plein de pudeur, de poésie et de tendresse sur une parenthèse estivale.

Sandro vient de se faire larguer par sa femme, avec pertes et fracas : en rentrant chez lui, il voit ses chemises et ses vinyles voler entre ciel et trottoir, sous le regard amusé des passants. Alors, sous prétexte d'offrir des vacances à son fils, Sandro fuit cet amour qui se délite, cette histoire qui se meurt.

La frontière est un fil rouge fluorescent que je garde en vue, au loin. J'ai les poumons contractés, je retiens mon souffle et j'accélère. J'accélère, parce qu'au delà de la frontière je pourrai le relâcher. Mais pas avant. Parce que
ici
sur l'autoroute
je prends la fuite
ne me retourne pas
la ville est dans mon dos
je ne regarde pas dans le rétroviseur
je ne pense qu'à filer, porté par le vent du soir et ma tristesse s'écoule sous le châssis, goutte sur l'asphalte.

Embarqués dans la petite Alpha Roméo, le père et le fils avalent les kilomètres et les paysages. Ces deux-là ne se disent presque rien, et il leur suffit bien souvent d'un regard pour comprendre : le divorce, une nouvelle vie à reconstruire, l'enfance qui se termine. L'arrivée de la belle et pimpante Dolorès marque un virage dans ce giro italien et nous permet, avant la fin du voyage, de faire halte dans les îles Éoliennes.

Un père et son fils, un divorce, des vacances. L'intrigue n'a rien de révolutionnaire mais c'est justement là que l'on reconnaît le talent : réussir par la simple force des mots à rendre singulière et émouvante, une histoire déjà traitée mille fois en littérature. Philippe Fusaro alterne les phrases très courtes et les envolées poétiques, joue avec la mise en page, use des retours à la ligne en milieu de phrases, mêle l'italien au français, etc. L'ensemble donne à la narration un rythme et une musicalité tout particuliers.
Loin de céder à un sentimentalisme mièvre, les personnages de Philippe Fusaro sont tous des funambules, des êtres en équilibre entre douce excentricité et mélancolie du clown triste. On ne peut s'empêcher de sourire à l'évocation des mocassins de Sandro ou des talons de Dolorès, de la danse endiablée avec Dona Summer ou encore de la discussion qui s'en suivra entre le père et le fils ; et dans le même temps, certaines scènes, tout en non-dits et suggestions, sont d'une puissance évocatrices saisissantes.

J'ai découvert avec cette Italie si j'y suis, une écriture sensible et élégante qui m'a rappelé mes propres voyages en Italie. Ce roman confirme une fois de plus que les plus beaux moments/romans de la rentrée littéraire ne sont pas forcément ceux qui font la une des mass-media.

(D'autres avis, ailleurs dans la blogosphère : Émeraude, Ness et Jean-Baptiste)

Laurence

Du même auteur : Aimer fatigue

Extrait :

J'en ai oublié le vertige, je n'ai plus aperçu le vide et j'ai avancé, un mocassin devant l'autre, et je me suis dit que cela avait été une aubaine de les acheter avec les bouts pointus, ces mocassins, qu'ils sont parfaits pour cet exercice. Marino, les mains en cône autour de sa bouche me crie depuis la fenêtre, vas-y, papa ! c'est super, tu y es presque, encore un effort ! mais plus je me rapproche de lui, plus les chemises rouge volantes s'échappent par la fenêtre, flottent dans les airs, me gênent dans mon entreprise, menacent l'équilibre, enveloppent mon visage et moi, je les arrache, les jette vers le sol mais le vent terrible des rattrape et les chemises rouges volantes remontent, s'enroulent autour de mes chevilles, ou de la corde qui devient glissante parce qu'elle sont en soie, ce qui m'a coûté une fortune mais je m'en fiche, à ce stade, parce que je suis sur le point d'atteindre mon but. Marino me tend sa main et, soudain, toutes les chemises rouges volantes en soie se ruent sur moi. La lutte m'épuise. Je baisse les bras et je chute. Je chute en contemplant les tables du Café de la Mairie, juste en dessous. Je chute et le vide entre la corde et la terrasse n'en finit plus de s'allonger. Il m'empêche de toucher le sol et je chute. Je chute à n'en plus finir.

L'Italie si j'y suis
L'Italie si j'y suis de Philippe Fusaro - Éditions La fosse aux ours - 171 pages