Nicolas Bonneau est à la fois l'auteur et le comédien qui donne vie à ce spectacle. Le texte (que je n'ai pas vu jouer) est en soi une jolie réussite. En donnant la parole aux ouvriers, mais aussi aux ouvrières, il se plonge dans un monde qu'il n'a pas connu lui-même, mais qui est le milieu dans lequel son père a travaillé. Sur les routes de Poitou-Charentes, il suit Gilbert, à la retraite, qui lui sert de porte d'entrée dans ce monde qui lui est inconnu, avec ses codes et ses réserves..

Car ceux que Nicolas Bonneau interroge ne sont pas habitués à ce qu'on s'intéresse à eux, et ne comprennent pas toujours ce qu'ils peuvent avoir à dire à un artiste créant un spectacle. D'ailleurs, pourquoi monte-t-il ce spectacle ? Que recherche-t-il ? Et puis, qui est-il cet artiste pour parler de nous ? Est-il légitime ? Toutes ces interrogations parcourent le texte, qui permet de saisir le retrait dans lequel se mettent ces ouvriers, ces gens qui se considèrent comme ordinaires. En plus, hormis le syndicaliste habitué à parler en public et voulant dire du bien de son syndicat, ils ne sont pas très bavards. Même Gilbert a du mal à parler de lui. Et c'est en dehors des périodes formelles d'entretien, lors d'un apéro, qu'il va oser raconter son histoire d'amour avec se femme, et leur rencontre.

L'intérêt de cet ouvrage, outre la lecture de ce très texte sur le monde ouvrier et le rapport d'un artiste à celui-ci, est d'offrir à la suite une discussion entre l'auteur et un autre conteur, pour parler de cet art. Nicolas Bonneau évoque son parcours, de comédien classique à celui de conteur. C'est lors d'un voyage au Canada qu'il a perfectionné la technique de ce qui est devenue sa forme d'expression. Il ne se glisse plus dans la peau d'un autre, mais sert un texte, et uniquement cela. Il évoque également ses références et son besoin de revenir sur la terre de son enfance, dans le Poitou. Car pour lui, le conte est lié à ce qu'il a lu petit, aux histoires du village. C'est un véritable plaisir de découvrir le parcours de cet homme modeste, qui tente de rendre au conte tout ce qu'il lui a apporté. Et on a vraiment envie, après la lecture de l'ouvrage, de le découvrir sur scène.

Yohan

Extrait :

Y a un grand gars tout gris, qui vient de se lever derrière moi. "L'usine, c'est la mort ! Y a rien de plus con que de mourir au boulot ! Comme ce jeune gars qui venait d'être embauché et qui s'est fait avaler par une machine, la veille de Noël. Il avait deux filles. Comme l'électricien qui s'est fait électrocuté. Comme ces deux soudeurs qui venaient de finir leur boulot quand la cuve leur a pété à la gueule. Ceux qu'ont les doigts broyés. Ceux qui perdent un œil à cause d'un jet d'acide. Sans compter les maladies qui surgissent tout à coup. Y a encore deux copains à qui on a offert une couronne à cause de l'amiante. Et puis les autres, plus vicieuses, comme l'alcool... L'usine, c'est la mort ! Y a rien de plus con que de mourir au boulot !"

Sortie d'usine !
Sortie d'usine ! de Nicolas Bonneau - Éditions paradox - 128 pages