Un soir de pluie, deux parents abandonnent leurs trois enfants à une station-service. Depuis toujours et surtout depuis ce jour, Isabelle « veille donc sur Anne, en même temps que sur Adrien. Elle fait son métier d'Isabelle, son métier d’aînée.»

Ce soir de pluie, Isabelle, Anne et Adrien rencontrent Églantine, mais son vrai nom c'est Aubépine. C'est une sorcière avec un lion. Elle les emporte dans sa grande maison aux chambres de toutes les couleurs. Ils vivent là comme dans une arche. D'ailleurs, il y a même un grand lion, une grosse bonne pâte de Saint-bernard qu'Adrien charme instantanément et baptise Nello.
Dans cette arche, ils vont s'inventer une autre vie, une vie de souvenirs, de fables, de chocolats chauds et des gâteaux d'Églantine.

Un jour, arrive le grand Jacques, le fils d'Églantine. Il est marin, toujours en voyage à l'autre bout de la terre, au fond d'un verre ou d'un bar. Mais toujours il revient auprès d'Églantine. La présence des enfants fera qu'il restera plus longtemps. Il se fera même le précepteur, peu conventionnel, de la farouche Isabelle.

Ce n'est pas dans les livres d'histoire que vous apprendrez l'histoire, mais dans ces fables, où dans les pièces de Racine. Je vous laisse, j'ai à faire. Ce soir dans votre chambre, écrivez-moi quelques fables à votre façon. Imaginez que la cigale soit protestante et la fourmi catholique, inventez une suite à la maladresse de Perrette : comment on retient sur son salaire le prix du pot au lait, sa révolte, son licenciement.

Et puis c'est au tour d'Adrien et Anne de partir avec Jacques. C'est l'été et ils font un « voyage au long des côtes de France. Des cartes postales arrivent régulièrement : des vues du Morvan, des Ardennes, des Cévennes.»

Je ne peux vous en dire plus pour vous laisser à toute la beauté, la poésie de cette histoire, de ces personnages, de cette fable pleine de tendresse, de douceurs, même si le monde dehors n'oublie pas d'envoyer les soucis de grandes personnes, la maladie, la marque du temps. Une fable où des chiens ont la délicatesse de se cacher pour mourir, où un cerisier tombe amoureux. Et puis, et puis bien d'autres choses encore, qui vous charment, vous touchent.

Alors vous comprendrez combien le choix devient cornélien quand il faut choisir un extrait tant il y a de passages que l'on voudrait donner à savourer.
À lire, à relire, offrir absolument !

Dédale

Du même auteur : Geai, La dame blanche, L'inespérée, La présence pure, Les ruines du ciel, Carnet du soleil, L'homme-joie

Extrait :

Cinq jours ont passé. Cinq jours de cueillettes, de lectures et jeux de l'oie. Cinq jours éponges, cinq siècles humides. L'eau efface le ciel. Elle glisse sur les feuillages. Elle rentre dans les pensées.
Adrien s'aventure dans le jardin, tête nue, appelant le saint-bernard qui fait le sourd. Nello n'aime pas la pluie. Elle épaissit votre poil, elle salit vos pattes, elle fait que, lorsque vous rentrez, on vous met en quarantaine dans la cuisine, avec interdiction d'errer dans les autres pièces. Mais comment résister à la voix d'un soleil de cinq ans. Nello rejoint Adrien d'un pas lourd, s'arrêtant pour regarder la maison bien chaude, reprenant sa marche dans un profond soupir. Tous deux s'éloignent vers le fond du parc.
Anne a découvert, dans le placard de sa chambre, une série de belles robes. Elle les essaie, marche en tenant les ourlets dans sa main, se regarde dans un miroir, rêvant d'une robe de pluie, avec des chaussures d'herbe.
Isabelle écrit. Ses cheveux bruns cachent son visage. Elle s'applique, hésite sur la rondeur d'une lettre, sur le tranchant d'une virgule. Elle écrit sous la dictée, le front plissé, la main douloureuse à force de se crisper sur le crayon. Au loin, la voix de Bruges. Derrière la pluie, la voix gelée. Elle a du mal à bien l'entendre. Elle voudrait n'en rien perdre – pas un seul souffle. On ne la dérange pas dans son travail. Il est normal qu'une enfant de treize ans fasse quelques pages d'écriture. C'est une image tranquille, convenue. Rassurante. Adrien est le seul à deviner, mais il ne sait pas ce qu'il devine. De retour à la maison, les bras chargés de pommes roussies, il demande : à qui tu écris, Belle ? Elle ne dit rien, referme son cahier, jongle avec deux pommes. Allez donc répondre que vous écrivez aux morts. D'ailleurs, on le sait bien : à qui d'autre écrire ?

Isabelle Bruges
Isabelle Bruges de Christian Bobin - Folio - 118 pages