Contrairement à ce que pourrait nous faire croire le titre, le protagoniste principal de ce roman est un homme qui se raconte à deux moments cruciaux de sa vie. La narration alterne donc entre ces deux époques.

D'un côté il y a Ab', 15 ans, un peu timide, mal dans ses baskets comme la plupart de ses congénères. Il découvre la vie lycéenne, les premiers émois amoureux et cette envie de prendre fait et cause pour l'opprimé. Cette année-là, les opprimés ne viendront pas de l'autre bout de la terre, ou du coin de la rue, mais bien de l'intérieur du lycée. Alors qu'il étudiait tranquillement au CDI, Ab' se fait accoster par une fille particulièrement disgracieuse, qui lui demande de créer un logo pour le club FM, le club des filles moches. Ab' s'exécute avec plaisir, prend part à leur combat mais dans le plus grand secret.
20 ans plus tard, Abraham semble avoir oublié l'adolescent qu'il était. Il est devenu, Monsieur Besnard, un type imbuvable, misogyne et tyrannique. Comment une telle transformation est-elle possible ? Qu'est-il arrivé au frêle adolescent ?

Le club des filles moches est d'abord le roman d'une génération. Celle qui, comme moi, a vécu son adolescence à la fin des années 80 et au tout début des années 90. On retrouve une bande son, des références qui furent nôtres, des expressions. N'allez pourtant pas croire que l'auteur manie la nostalgie facile et larmoyante. Si l'humour et la tendresse sont bien présentes, le souvenir est acéré, et le bilan parfois cruel. Karl Nouail dresse le portrait d'une génération dite perdue (le chomage, le sida étaient déjà là) mais qui avait des rêves et des espoirs. 20 ans plus tard, le constat est plutôt amer, voire cynique… du moins pour Abraham.
Mais au-delà du roman générationnel, Karl Nouail nous propose un récit qui flirte avec le roman noir et entretient le suspense sur les deux narrations, passée et présente. Au fil des pages, à l'aide d'indices savamment distillés, l'auteur laisse entrevoir le(s) dénouement(s) tout en semant de fausses pistes pour mieux nous prendre à rebrousse poil.

(D'autres avis, ailleurs dans la blogosphère : Hervé Sard)

Laurence

Extrait :

ELLE EST TROP MOCHE. Comment faire admettre à ces cons de la DRH l'idée que je me fais d'une bonne collaboratrice ? Le talent est global. C'est un tout. Le talent procède pas d'une distinction entre l'allure et l'intellect, le dedans et le dehors, le vrai et le faux.

Fiez-vous à votre instinct : ce qui est beau est bon.

Je dois veiller à tous les détails pour atteindre mes objectifs. Tout faire pour le bonheur de mon réseau d'opticiens de centre-ville qui se goinfrent sur les ventes avec une marge de 175% : organiser trois campagnes de publicités par an ; bichonner mes relations publiques avec les titres leaders de la presse féminine ; conduire une bagnole qui respire le succès et l'odeur du neuf. Ne jamais laisser le doute s'installer.

Le club des filles moches
Le club des filles moches de Karl Nouail - Éditions Siloë - 221 pages