Un jour le narrateur, traducteur talentueux et respecté, remplace un point-virgule par une virgule. S'il s'aperçoit de son erreur, il décide pourtant de ne pas la corriger. Et voilà, il est pris dans le piège. Au fur et à mesure de ses traductions, il va supprimer des point-virgules, ajouter des mots voire même des phrases entières, donner plus de profondeurs aux caractères des personnages du roman d'un auteur allemand dont les manies d'écriture l'irrite. Et personne, des auteurs, de son éditeur ne réalisera des modifications apportées.
Voilà comment un traducteur peut se changer en écrivain, être pris par son propre jeu, trouver sa propre musique d'écriture, et en éprouver tous les affres. Ce sera l'angoisse d'être bloqué au milieu de la vie de son personnage, se demander si l'écrivain n'écrit pas au fond que pour « vider son sac » après quelques contrariétés comme peut l'être l'humiliation de voir son premier roman refusé par tous les éditeurs. Il y a aussi le risque d'être influencé par les écrivains que vous avez traduit et qui vous ont pour une raison ou une autre impressionnés. Et que dire de la joie ressentie quand un éditeur vous annonce qu'il va vous publier, que vous êtes, enfin, reconnu comme un écrivain, un vrai. Vous entrez dans un monde à part avec ses bonheurs et ses tourments, comme cette pression constante qui pèse sur vous à devoir produire encore et encore.
Ce qu'il y a de plaisant dans cette fiction, c'est que Jacques Gélat pousse l'humour ou l'espièglerie à prendre en exemple de travail d'écriture des romans qu'il a lui même écrit : la mécanique du mal ou bien le tableau. Il nous offre donc là la genèse de ses premiers romans. Fallait oser !
Et puis surtout, si on a aimé comme moi La couleur inconnue ou son Traducteur amoureux – que je préfère peut-être parce que lu avant -, on appréciera de retrouver un style toujours aussi rapide, enlevé, maîtrisé, plein d'humour.
Avec Le traducteur, le lecteur s'est maintenant ce que peut offrir un auteur talentueux qui s'amuse follement. On en redemande.
Du même auteur : Le traducteur amoureux, La couleur inconnue
Dédale
Extrait :
Tous les traducteurs ont rêvé un jour d'écrire et je ne faisais pas exception. Depuis longtemps des feuilles traînaient dans mes tiroirs notes diverses, plans approximatifs de romans, et même début d'une nouvelle. Mais j'avais toujours abandonné sous le prétexte d'une traduction à commencer ou à finir. En fait ces projets ne m'inspiraient pas, ils ne m'offraient aucun élan. Peut-être y a-t-il aussi un jour pour écrire, mais, plus loin encore, plus important surtout, il faut savoir à quel point, pour le traducteur, l'écriture est impressionnante.
Je l'affirme définitivement : personne ne connaît mieux les livres que nous. Lecteurs, critiques, éditeurs, aucun de ceux-là ne connaît le poids d'un mot, la structure d'un roman, ses plus intimes agencements, comme nous, les traducteurs. J'irai même plus loin dans bien des domaines les écrivains eux-mêmes sont moins conscients que nous de leur travail. Leur style, bien souvent, leur échappe instinctif reflet de leur affect, ils le jettent sur la feuille trop occupés à poursuivre pour en discerner toute la logique dont nous, les traducteurs, suivons les rouages à la loupe.
Loin d'être libérateur ce savoir est un frein. Il inquiète, porte à la comparaison permanente. Je m'en étais débarrassé en m'arc-boutant sur un autre. J'avais mêlé ma science à la sienne pour voir le résultat. Le monde s'en était contenté. Mes mots valaient bien ceux des autres. Mon jour était venu.
Le traducteur de Jacques Gélat - José Corti Édition - 127 pages
Commentaires
jeudi 6 janvier 2011 à 09h25
c'est un excellent auteur, je n'ai pas lu ce roman là mais je l'avais marqué d'une coche car j'ai beaucoup aimé un précédent que j'ai chroniqué il y a plusieurs mois dont le sujet est la peinture : le plaisir du diable vraiment excellent
lundi 10 janvier 2011 à 07h53
C'est à lire, Dominique Je note à mon tour Le plaisir du diable sur mes tablettes. Echange de bons procédés
lundi 8 août 2011 à 12h58
Pas mal oui ce traducteur mais le bon livre à lire de cet auteur c'est, La couleur inconnue. Parce que celui là, le traducteur, est un peu compliqué sur la fin, dur à comprendre. Le bonhomme à aussi écrit la suite, Le traducteur amoureux, mais que je n'ai pas lu, pas plus que ce Plaisir du diable. Mais je le répète, le livre à lire de cet auteur c'est, La couleur inconnue. Amitié à tous les lecteurs ! Alain.