Simon Koëtels se cherche, part en aveugle en Argentine, à la recherche de quoi, de qui. On ne sait. Il flotte entre deux rues, indécis, regarde la vie passer autour de lui sans qu'elle l'imprègne, le marque plus qu'autre chose. Dans un premier temps, il est hébergé par un ami de famille.

Esteban Menger rencontre "fortuitement" Simon à une terrasse de café. Quelques minutes après leur discussion, Simon se fait voler sa sacoche contenant ses papiers. C'est l'occasion pour Esteban de se donner pour mission en accueillant Simon dans son hôtel de faire "l'impossible pour effacer de votre mémoire la normalité déplaisante de ce jour". Simon est par la suite hébergé à l'Hôtel Implicite. Cet hôtel, perdu dans le quartier de Palermo, est tenu par Esteban et sa sœur Natacha. Dans cet hôtel très particulier, cachant bien des secrets, les chambres sont décorées de toiles de maîtres. L'infirmière-masseuse est aussi voleuse. On y accorde des chambres que si l'on a un lien personnel avec la famille Menger.

Arrive Juan Pablo, le frère ainé d'Esteban et Natacha. Juan, un colosse passionné de danse, va peut être permettre à Simon d'ouvrir les yeux sur les intentions d'Esteban. Encore faut-il que Simon le veuille ! Ce héros est confondant de naïveté, d'aveuglement. Il est tellement plus simple pour lui de se laisser bercer par la vie de riches des Esteban, les visites nocturnes dans les musées habillé en smoking, de dîners coûteux. En contrepartie, il sert par deux fois de passeur pour Esteban. Par deux fois aussi, il se laisse submerger par des poussées de violence presque gratuite. Le lecteur sent bien que la rencontre de Simon avec les Menger est loin d'être fortuite. Mais est-ce que ce simple fait justifie tout un roman ? Est-ce que le récit d'Esteban sur les croyances de son père sur le destin des hommes, l'arrivée de ses parents en Argentine peu avant le déclenchement de l'holocauste justifiait ces longueurs, ces artifices d'écriture ?

L'intrigue de cet Hôtel Argentina - et pourquoi pas Implicite ? - est servie par phrases hachées en petits morceaux, parfois même juste des mots apposés les uns à côté des autres. Tout le roman n'est qu'une suite de petits paragraphes qui, il me semble, ne servent qu'à "mettre en valeur", en exergue, une phrase plus importante pour l'auteur. Un peu comme ces "rires" ajoutés dans les séries TV pour signaler au téléspectateur : "attention c'est maintenant qu'il y a quelque chose de drôle". J'ai ressenti cette même intention en lisant cette histoire. Était-ce intentionnel de la part de l'auteur ou non, je cherche encore en quoi cette technique apporte quelque chose à l'intrigue. Une intrigue qui a toutes les peines du monde à pointer son nez.
Au milieu de tout cela, on offre une liste de bolides, jaguar, porsche… etc, un rêve débordant de fantasmes malsains, une visite dans un hôpital psychiatrique tombant en ruine avec sa collection de cranes et cerveaux stockés dans des bouteilles de formol. On se demande ce que cela apporte à l'intrigue. Bref, c'est pour ce genre de passage que l'on apprécie sa faculté de passer des pages. Étrange sensation que celle ressentie à cette lecture. Celle de réaliser que l'auteur se regarde écrire, comme ces gens qui s'écoutent parler. C'est verbeux. C'est creux.

Pour finir, je ne comprends pas l'annonce faite en fin d'ouvrage où l'on mentionne que le roman ne "cherche pas à faire œuvre d'histoire. Le lecteur intéressé par l'étude des liens entretenus entre l'Argentine et le régime nazi pourra se reporter au livre…". Pourquoi cette mention alors que durant toute ma lecture, je n'ai pas trouvé de références sur ce sujet et le réseau Odessa. Preuve en est que je suis réellement passée à côté du sujet du roman. Tout devait être si implicite que tout m'a échappé.

Je me demande comment j'ai pu terminer ce roman, pourquoi je me suis sentie obligée d'aller jusqu'au bout, jusqu'à l'ennui total. Finalement, pour un voyage en Argentine annoncé comme moderne et envoûtant, je me suis trompée de compagnie et de destination.

Dédale

Extrait :

L'odeur puissante des fleurs adoucissait la fin d'après-midi. Même les gouttes de transpiration entre mes omoplates semblaient fraîches. Dans le restaurant de ma mère, où en trois ans j'avais occupé tous les postes, à l'exception de quelques-uns en cuisine, les tables se recroquevillaient afin de composer avec l'espace réduit de la salle. Malgré le charme du lieu et la convivialité qui y perdurait, aucune terrasse n'agrémentait la longue pièce bordée de glaces. Et rien ne reproduit artificiellement la bruit de l'ombre en été.

Je goûtais la douceur, peu préoccupé par mes recherches d'appartements. La cacophonie urbaine s'apaisait dans le jour brunissant. De ma sacoche, je sortis une éditions de poche du Roi Lear, emportée à la hâte et sans réflexion dans mon périple argentin. Du théâtre de Shakespeare, et du théâtre en général, je ne possédais que de vagues souvenirs d'ennui profond. J'aimais pourtant le théâtre. J'aimais cette histoire où les fous sont sages et les désillusions nombreuses. Je ne lisais que très rarement, et pas une ligne depuis l'arrivée à Buenos Aires. Seul à ma table, j'essayais de trouver dans ces pages le plaisir disparu des représentations sans fin.

- Mais qui est avec lui ? Nul autre que le fou, qui fait de son mieux pour panser les blessures de son cœur par un redoublement de plaisanteries.

La voix qui avait récité cette réplique dévoilait un accent complexe, sorte d'allemand plongé dans un castillan trop littéraire. Le résultat teintait son français de sonorités inhabituelles, mais sans failles. Un peu plus loin sur la terrasse, patientait un homme vêtu d'un costume clair sans cravate. Ses cheveux coupés ras répondaient à la noirceur de sa barbe naissante. Un homme d'une beauté franche, virile, à l'apparence aussi soignée que son visage était équilibré.

Hôtel argentina
Hötel Argentina de Pierre Stasse - Éditions Flammarion - 240 pages