Les Araignées sans mémoire est en réalité le titre de la première fable. Titre accrocheur et intriguant qui dès le départ donne envie d'en savoir plus.
Ce recueil, le premier écrit par Jodorowsky, compile une successions d'historiettes illustrées publiées dans un grand quotidien mexicain à raison d'une par semaine. Il les appelait lui-même des "fables panique". Édité pour la première fois en 1980 par la toute jeune maison d'édition "Les Humanoïdes Associés", le voici qui ressort du placard pour notre plus grand bonheur. Un seul regret cependant : que l'éditeur n'ait pas joint les dessins qui accompagnait les textes originaux dans la presse.

Un mot maintenant sur Jodo. Actuellement auteur connu et reconnu, scénariste émérite, illustrateur de talent, il n'en allait pas de même en 80.

Voici comment Gérard de Cortanze, le préfacier, le voyait à l'époque :

Peu connu du grand public, Alejandro Jodorowsky — vivant à Paris depuis 1953, il avait travaillé avec le Mime Marceau et Maurice Chevalier — était pour un groupe restreint d'aficionados un véritable dieu vivant. À moins de cinquante ans, il avait mis en scène près de quatre cents pièces de théâtre, créé une trentaine de ce qu'il appelait des "éphémères paniques", avait été champion de karaté et dompteur d'éléphants, avait dirigé un groupe de musiciens pop, créé une société de production cinématographique, réalisé plusieurs films cultes - Fando et Lis, El Topo, La Montagne Sacrée - et lancé avec Fernando Arrabal et Roland Topor le fameux "Panique", qui n'était ni un groupe, ni un mouvement, ni une école mais une sorte d'aventure s'offrant à qui la pratiquait, comme le fruit ni du savoir, ni de l'expérience.

Singulier personnage, non ?

Et pour enfoncer le clou, il est impossible de ne pas citer cette petite anecdote :

Jodo me parla beaucoup de l'échec de sa formidable adaptation du roman Dune de Frank Herbert — un projet fou. Voyez plutôt : participation d'Orson Welles, décors signés Moebius et H.R. Giger, musiques des Pink Floyd, de Tangerine Dream et de Magma, sans parler de Salvador Dalí qui avait accepté de jouer le rôle de l'empereur Padishha Shaddam IV !

Les quelques 130 fables réunies dans ce recueil témoignent toutes de ce caractère rêveur, anticonformiste, volontiers frondeur et très ironique. Certains textes expriment une vision plutôt désabusée d'un futur probable, d'autres mettent en avant les héros d'épopées mythologiques. Tous se retrouvent dans cette volonté de sortir le lecteur de son quotidien, de l'amener à pousser plus loin une réflexion qui n'existe pas encore mais que l'auteur, en vrai Socrate, s'efforce de faire naître.

Et comme quelques phrases valent mieux qu'un long discours, voici quelques courtes fables, parmi toutes celles du recueil. Chacune aurait mérité d'être citée mais il faut savoir raison garder…

En tous cas, c'est un recueil à lire, à prêter, à offrir et à relire souvent.

Du même auteur : Pietrolino

Cœur de chene

Extrait :

L'archer assassin

Un archer voulait que ses flèches soient capables de transpercer une armée entière. il y travailla des années. À la fin, après avoir accompli des progrès surhumains, l'âme lourde de haine, il banda son arc et décida de porter le coup le plus meurtrier de l'histoire de l'humanité. La corde tendue siffla et la flèche jaillit avec une telle énergie qu'elle fit le tour de la planète et vint se ficher dans son dos.

La fourmi qui était une poule mouillée

Une petite fourmi sort chercher de la nourriture en compagnie de sa mère. Elles sont dans un désert aride et hostile. À un kilomètre de là, la petite fourmi aperçoit un arbre. Elle dit, angoissée : "C'est très loin ! Je ne pourrai jamais y arriver ! Je mourrai de faim !" La mère lui répond : "Tu te trompes : ne désire pas arriver à l'arbre… Commence simplement par marcher ! Ne te propose pas d'arriver. Propose-toi seulement d'avancer. Comme ça tu arriveras où tu voudras !"

L'archer fou

Un archer voulait chasser la lune. Nuit après nuit, sans se reposer, il lançait ses flèches en direction de Séléné. Ses voisins commencèrent à se moquer de lui et dirent qu'il était fou. Mais l'homme continua toujours à lancer ses flèches. Il ne put jamais attraper la lune, mais il devint le meilleur archer du monde.

Les araignées sans mémoire
Les Araignées sans mémoire d'Alexandro Jodorowsky - Éditions Albin Michel - 288 pages