Flush est tout simplement un chien mais pas n'importe lequel, bien sûr. Flush n'est autre que l'épagneul de la poétesse Elizabeth Barrett Browning (1806-1861). Cette biographie est originale, plaisante mais pas innocente pour autant. En se plaçant du point de vue du chien, V. Woolf donne une autre perspective à sa brève biographie de E. Browning. On va donc suivre la vie trépidante de l'animal, sa naissance à la campagne, son adoption, son adaptation à la vie dans une belle maison, dans une grande ville et surtout celle de Londres avec ses attraits (les moult senteurs de la rue) et ses dangers (les coches et même le kidnapping). Grâce à ses sens aiguisés, Flush nous livre son point de vue sur sa maîtresse, sur leurs relations, sur la jalousie qu'il a ressenti dès l'apparition du poète Robert Browning aux côté de Elizabeth. Tout d'un coup, la jeune femme voit son état de santé s'améliorer. Son entourage découvre ce que le chien avait déduit : cette force naissante vient d'un homme habillé de brun et portant des gants jaunes.
À la suite de sa maîtresse et de son mari, Flush va connaître les voyages et les charmes de l'Italie. Par cet exercice, V. Woolf démontre là encore tout son talent et sa faculté de changer les odeurs perçues par l'épagneul en mots. Le lecteur ne pourra que constater que sa palette est large, flamboyante, subtile.
Via Flush, V. Woolf reprend ses thèmes favoris : une critique de la vie citadine, les codes qui la régissent, les conflits de classes, l'oppression des hommes dont les femmes peinent à se libérer et puis qu'est-ce que le "soi-même", le doute du poète ou de l'écrivain. Les mots disent-ils vraiment tout ?
Bref, une petite lecture sympathique joliment illustrée par des dessins de Vanessa Bell, la sœur de Virginia et présentée avec beaucoup de soin par l'éditeur, Le Bruit du temps.
À découvrir bien sûr.
Dédale
Du même auteur : La chambre de Jacob, Une chambre à soi, La scène londonienne.
Extrait :
Il était seul. Elle l'avait abandonné.
Alors une telle vague de désespoir et d'angoisse le roula le caractère irrévocable, l'implacabilité du destin heurtèrent son esprit avec une telle force que, levant le museau, Flush hurla lamentablement. une voix s'éleva : "Flush ! " disait-elle. Il ne l'entendit point. "Flush ! " répéta la voix. il sursauta. Il s'était cru seul. Il se tourna. Y avait-il donc un être vivant dans la pièce ? Sur le sofa ? Flush fut envahi d'un espoir sauvage cet être, quel qu'il fût, allait ouvrir la porte lui, bondirait rejoindre Miss Mitford tout ceci ne serait qu'un jeu de cache-cache semblable à ceux de la serre, dans la maison natale. Il se précipita vers le sofa.
"Oh ! Flush ! " dit Miss Barrett. Pour la première fois elle arrêta sur lui son regard en plein visage. Pour la première fois Flush regarda la dame allongée sur le sofa.
L'un et l'autre furent surpris. De lourdes anglaises encadraient le visage de Miss Barrett ses yeux brillaient, larges et vifs sa grande bouche souriait. De lourdes oreilles encadraient le visage de Flush ses yeux aussi étaient larges et vifs sa bouche grande. Ils se ressemblaient. Tandis qu'ils se considéraient, chacun d'eux sentit : "Me voilà" - puis chacun : "Quelle différence ! " Le visage de la jeune fille avait la pâleur fatiguée des malades, coupés du jour, de l'air, du libre espace. Celui du chien était le visage rude et rouge d'un jeune animal respirant la santé et la force instinctive. Séparés, clivés l'un de l'autre et cependant coulés au même moule, se pouvait-il que chacun d'eux complémentaire, vînt achever ce qui dormait en l'autre sourdement ? Elle aurait pu posséder - tout ceci et lui - mais non ! Entre eux béait le gouffre le plus large qui puisse séparer un être d'un autre. Elle parlait il était muet. Elle était femme il était chien. Ainsi, étroitement unis, immensément divisés, ils se mesuraient du regard. Mais d'un seul bond Flush sauta sur le sofa et se coucha là où désormais il devait se coucher toujours - sur la courtepointe, aux pieds de Miss Barrett.
Flush : une biographie de Virginia Woolf - Éditions Le bruit du temps - 179 pages
Commentaires
samedi 29 janvier 2011 à 09h12
Ce petit livre m'attend sagement sur mes rayons, je le garde pour un moment de blues, car manifestement il fait partie des livres qui donne le sourire, c'est précieux.