Louvine et Mathis ont 17 ans et ils s'aiment. Ce soir-là, ils avaient décidé de se donner l'un à l'autre pour la première fois. Une belle histoire en somme. Sauf que Louvine est différente des autres filles de son âge. Plus lente que les autres, certains diront sans doute « attardée ». Alors, pour ses parents, il est impensable que Louvine ait pu avoir de tels désirs. Mathis est donc un coupable tout trouvé.

Le texte commence par une injonction : « Tais-toi ! », et Cathy Ytak nous plonge directement au cœur de l'action. Les deux jeunes adolescents viennent d'être découverts nus dans les bras l'un de l'autre. Immédiatement, les adultes les séparent et Louvine ne parvenant pas à expliquer son désir pour Mathis, se terre dans un mutisme inquiétant. Mutisme apparent puisqu'en réalité, d'Une seule voix, elle remonte le fil de ses souvenirs et se remémore leur rencontre et leur très belle histoire d'amour.

Mathis et Louvine sont aussi sauvages et solitaires l'un que l'autre. Chaque soir, ils s'arrêtent à la même station de bus et prennent le même chemin de montagne pour regagner leurs maisons respectives. Mais il leur faudra de nombreux jours pour oser seulement s'adresser la parole. Cathy Ytak décrit avec beaucoup de tact et de délicatesse le rapprochement de ces deux adolescents que la timidité dévore. Les premiers regards, les premiers mots, les premiers frôlements, etc.
Si Louvine se sent différente, c'est que ses parents n'ont eu de cesse de le lui répéter. Pourtant, Mathis ne semble pas y prêter attention et Louvine se sent « normale » quand elle est près de lui. Elle découvre même, à sa grande surprise, de nouvelles sensations dans le bas du ventre. Cathy Ytak parvient à mettre des mots d'une grande poésie mais sans aucune niaiserie sur cette première fois si intimidante et déroutante.

Rien que ta peau est donc un très beau récit sur les premiers émois amoureux mais il est plus que cela. En  choisissant pour héroïne et narratrice une jeune fille « un peu différente », Cathy Ytak interroge également ses lecteurs sur leur perception du handicap mental. Les parents de Louvine sont tellement obnubilés par la « maladie » de leur fille qu'ils en oublient qu'elle est devenue une femme et qu'elle aussi peut avoir des désirs charnels ; qu'elle aussi peut être « sujet » de son existence et non seulement « objet ». En lui donnant la parole, Cathy Ytak offre une vision différente du handicap et montre que souvent les points communs sont bien plus nombreux et importants que les dissemblances. Le lecteur, oubliant rapidement que Louvine est lente, retient surtout l'image d'une jeune femme forte, volontaire et amoureuse.

J'ai décidément une très grande tendresse pour cette collection dirigée par Jeanne Benameur. À une exception près, tous les textes que j'ai pu lire réussissent en à peine quelques pages à proposer des histoires fortes et intelligentes sur les troubles de l'adolescence.

(D'autres avis, ailleurs dans la blogosphère : Reno, Dominique, Sophie, Jean, Bellesahi)

Du même auteur : 50 minutes avec toi

Laurence

Extrait :

Et c'est ce souvenir qui me tient debout, à l'intérieur, dans mon lit. Ce que disent les autres, je m'en moque. Je me souviens de nous, de nous, de nous. Et ma mémoire est douces comme une combe enneigée. Pareille à une pelote de fil que je tire doucement, je la dévide, je vais la rembobiner complètement, cette fois en partant du début, parce que les histoires, ça se raconte en partant du début. Ils m'ont dénié le droit d'y avoir joué un rôle, alors je me la réapproprie et la ressors intacte. Je sais que toi aussi, où que tu sois, tu fais la même chose, chaque nuit.

Rien que ta peau
Rien que ta peau de Cathy Ytak - Éditions Actes Sud Junior, collection D'une seule voix - 76 pages