Antoine est loin d'être un mari parfait. Propriétaire avec Batti d'un bar en Corse, il est beaucoup plus attiré par les vapeurs d'alcool, les rails de cocaïne et les bras de sa maîtresse que par le lit conjugal. Mais l'impression d'être relégué par sa femme ne l'incite pas à renouer le contact avec sa famille. Au contraire, elle devient un ennemi qu'il évite le plus possible, et noie son désarroi dans un quotidien de plus en plus sordide. Même Batti ou José, son ami qui rêve de devenir une star du porno, sont les victimes de la violence qu'Antoine ne parvient plus à réprouver.
Heureusement, il y a Paul. Le frère d'Antoine, avec qui il a coupé les ponts. Celui qui est allé à Paris, qui a fait la fierté des parents, mais qui est revenu sans rien sur la terre des ancêtres. Paul devient une nouvelle boussole pour Antoine, même s'il est imposé en partie par sa fille, heureuse de renouer avec son oncle.
L'ouvrage semble se résumer à une banale histoire familiale, mais il ne se limite pourtant pas à cette chronique d'une famille en déliquescence et d'un homme en proie au doute. En insérant deux passages historiques, ayant un lien plus ou moins étroit avec Antoine, Jérôme Ferrari ancre son roman dans une histoire plus large. Celle d'un territoire marqué par la violence, par l'exil, le départ et l'échec. Surtout, ces deux passages rompent avec la narration et installent un climat de doute pour le lecteur qui ne sait pas trop où va le mener cette intrigue à plusieurs entrées. Et le changement constant de point de vue n'y est pas étranger. Comme Antoine, on ressent à la lecture le doute face à un avenir qu'on ne maîtrise pas totalement. Ce qui est finalement un élément très positif de cette plongée en terre corse, où les repères du héros comme ceux du lecteur sont remis en question.
Du même auteur : Le sermon sur la chute de Rome, Où j'ai laissé mon âme
Extrait :
Presque vingt ans plus tôt, il est appuyé contre le mur d'une boîte de nuit, avec un verre à la main et, autour de lui, des amis qui garantissent la stabilité et le sens du monde. Lucille Poli a deux ans de plus que lui. Pendant l'adolescence, ces deux années ont représenté une distance infranchissable, celle qui sépare irrémédiablement l'impossible du réel - Lucille passait sur la place de la fontaine, altièrement cambrée et souple, avec sa chevelure mate et des amies qui riaient avec elle dans la nuit d'août, et elles condescendaient à peine à saluer le groupe d'Antoine.
Dans le secret de Jérôme Ferrari - Éditions Actes Sud - Babel - 192 pages
Commentaires
vendredi 4 février 2011 à 08h43
Un roman que je ne connaissais pas d'un auteur que je ne connaissais pas non plus. Cela a l'air intéressant et c'est bien présenté.
vendredi 4 février 2011 à 10h16
c'est intéressant d'avoir une chronique sur un livre de cet auteur pour élargir un peu nos impressions, comme beaucoup j'ai aimé son dernier roman mais je n'ai rien lu d'autre donc ton billet tombe à point
vendredi 4 février 2011 à 10h38
@ Marc : Jérôme Ferrari commence à faire un peu parler de lui. J'ai notamment eu beaucoup de très bon retours sur son dernier ouvrage, Où j'ai laissé mon âme. Mais j'ai commencé par un ouvrage plus ancien
@Dominique : c'est aussi l'intérêt des blogs de mettre en avant d'anciens livres d'auteurs reconnus. Et il faudrait que je me penche sur son dernier ouvrage, que mon libraire m'a chaudement recommandé.
vendredi 4 février 2011 à 10h59
Bonjour,
j'ai été intéressé par votre présentation de "Dans le secret". Particulièrement cette dernière idée qui est de montrer que l'absence de repères permet d'imaginer un autre avenir. Les livres de J. Ferrari sont souvent très sombres (et graves, sauf le premier, "Variétés de la mort" (éditions Albiana), qui utilise à plein le comique, parfois outrancier). Depuis un moment toutefois, certaines lectures mettent l'accent sur la compassion qui s'y manifeste, sur des éléments plus positifs. Aujourd'hui en Corse, ses livres représentent beaucoup de chose pour beaucoup de lecteurs (la vitalité de ses écrits, leurs qualités, ouvrent des horizons à l'imaginaire et donc à la façon de penser la société corse du futur).
A bientôt.
samedi 5 février 2011 à 10h29
Pour ma part j'ai découvert Jérôme Ferrari avec "Un dieu un animal" sorti en 2009 chez Actes Sud - remarquable.
Je suis en train de lire "Où j'ai laissé mon âme" son dernier ouvrage. Il traite de sujets difficiles avec beaucoup de maîtrise dans son style. Je ne connaissais pas "Dans le secret" mais j'ai envie de le découvrir parce que cet auteur fait partie des écrivains contemporains à suivre, aucun doute sur le fait qu'il a sa place dans la littérature d'aujourd'hui - et il est publié chez Actes Sud un éditeur qu'on aime tout particulièrement
mardi 8 février 2011 à 18h10
Bonjour,
Comme François-Xavier Renucci je trouve intéressante cette idée de voir dans l'absence de repères un facteur positif . Mais j'aimerais nuancer son propos sur l'élément comique chez cet auteur.
Aleph zéro (Albiana 2002), le premier roman de Jérôme Ferrari utilise encore à plein le comique. Et on en trouve encore des traces dans un livre sombre comme Dans le secret ( le cousin José, un personnage haut en couleur plutôt hilarant ! ) et dans Balco Atlantico ( notamment les rapports des jeunes nationalistes avec les gendarmes ou Morachini ,l'ethnologue collectionneur de petites culottes ...)
Ce n'est que dans ses deux dernier romans, à partir d'Un dieu un animal que cette veine comique disparaît. Mais, à mon sens, elle refera surface, car Jérôme Ferrari aime beaucoup rire !
Pour ceux qui aimeraient avoir un aperçu des livres de Jérôme Ferrari, je signale que j'en donne de longs extraits suite à mes chroniques (qu'on n'est pas obligé de lire !) et que j'ai chroniqué tous ses romans sauf Variétés de la mort, un recueil de nouvelles épuisé.
dimanche 20 février 2011 à 15h19
Merci à tous pour vos retours de lecture sur Jérôme Ferrari.
Pour ma part, ce roman est le premier que je lis de Jérôme Ferrari. Je ne m'attendais pas à une plongée dans des méandres aussi obscurs, même si comme le dit E. Caminade, le comique n'est jamais très loin (Le cousin José est effectivement un des personnages qui crée ce décalage tout à fait bienvenu).
vendredi 25 février 2011 à 18h08