S'il est vrai que la reproduction de peintures n'est pas chose facile, il est quelque peu dommage que la reproduction imprimée en couverture du livre soit aussi sombre puisque dans le texte, le personnage de Magdalena, qui s'adresse au lecteur de son journal intime comme s'il était en train de regarder le tableau, évoque son goût pour les lumières du matin qu'elle a souhaité voir paraître sur la peinture.

Magdalena Van Beyeren raconte quelques moments marquants de sa vie dans un style sobre et élégant, recourant parfois à des tournures modérément surannées. Sans effusion excessive, elle dévoile une partie d'elle-même, ses sentiments variés : joie, colère, résignation, apaisement.

Ce journal est situé à Delft (Provinces-Unies) en 1667. Le père de Magdalena était administrateur de la compagnie néerlandaise des Indes orientales. Elle s'est intéressée très tôt à la gestion d'une telle entreprise. En épousant Dieter Van Beyeren, elle lui a permis de prendre la succession de son père. Dans son récit, on trouvera un peu de l'effervescence entourant certaines étapes de la vie de la compagnie, ses controverses, ses évocations du lointain Orient.

En entrant dans les pensées de Magdalena, on découvre aussi les coutumes et la société de l'époque. Pour les femmes, les maternités à répétition et la mortalité infantile apportent autant d'inquiétudes que de consolations. Une des rares distractions réside dans la pratique du chant et du virginal (un instrument proche du clavecin qui était utilisé principalement par les femmes ; de nos jours, ce répertoire est parfois interprété par le claveciniste Pierre Hantaï pour le plus grand plaisir de ses auditeurs). D'autres destins attendent les garçons.

La grosse heure que demandera la lecture de ce court roman vaut bien le voyage dans le temps qu'il procure. C'est de très bon goût et sans fausse note.

Joël

Du même auteur : Nos vies désaccordées.

Extrait :

Le tempérament de sa sœur Elisabeth est tout autre, et si je m'efforce de donner à chacune la même part d'amour, je dois reconnaître que son caractère m'est une grande consolation.
Elle a bientôt quatorze ans, c'est une enfant gracieuse et aimable. Mon plus grand plaisir est de l'accompagner lorsqu'elle chante, car le Seigneur l'a dotée d'une voix étonnante de beauté. Sa facilité à déchiffrer la musique me surprend toujours. Elle aborde une composition, aussi ardue soit-elle, comme on se glisse dans un vêtement taillé à son exacte mesure, s'ajustant au corps comme il se doit.
Lors de l'après-dînée, nous avons l'habitude de réunir quelques amis, amateurs de nos concerts familiaux. Ce sont des moments qui réjouissent mon cœur. Lorsque je me surprends à rêver, c'est d'une existence tissée de ces seuls moments, où chacun semble s'accorder à lui-même, comme à son entourage, avec la plus grande justesse, et n'éprouver pour le monde qu'indulgence, et affection.
Catherina se joint volontiers à ces soirées musicales. Lorsqu'elle s'en donne la peine, elle accompagne fort convenablement sa sœur.
Son jeu ne possède ni grâce réelle, ni sentiment profond, mais ses doigts sont assez habiles, et son profil attrayant. Elle s'entend fort bien à faire remarquer son joli mouvement de poignet, à s'attarder sur une poignée de notes flatteuses à l'oreille. C'est plaisant, mais ce n'est pas de la musique.

Les heures silencieuses
Les heures silencieuses de Gaëlle Josse - Autrement - 135 pages.