Mais contre toute attente, elle semble plus s'inquiéter de la disparition de Garm, son chien, que de la mort de son amie. Pourtant, le monde continue de tourner et les événements vont se précipiter à sa rencontre, la forçant à affronter la pénible réalité.

Chronique I : La vraie fausse histoire

Qui, aujourd'hui, n'a pas entendu parler d'Emily Bean-Ymirson ?
Depuis que Magnus Valison en a adapté les mémoires sous formes de romans, elle est sans doute le personnage le plus admiré de la littérature de genre contemporaine. Ce qui est plus vrai encore depuis que la littérature nordique déferle dans nos contrées comme un raz de marée. Il n'y a qu'à voir la série des Mémoires perdue entre les romans d'Indridalson, de Larson et de Paasilina... Mais cet ouvrage contribuera sans doute à leur offrir un nouveau lectorat.

Ce roman reprend les personnages rendus célèbres par Valison (qui, rappelons le, nous à quitté en 2001) et leur offre un second souffle. A ce titre, il serait intéressant d'avoir l'avis de ceux qui sont encore de ce monde sur cette fiction. Notons quand même que l'éditeur John treeburg de New Uruk City émet des doutes quant à la validité de certains passages. Il revient sur ces éléments dans une post-face extrêmement riche qui apporte un éclairage tout à fait nouveau sur l'ouvrage.
Pour ce qui est de l'histoire elle-même, Dustin Long semble reprendre avec beaucoup de plaisir les écrits de Valison. Il y fait constamment référence et cette culture très spécifique peut assez facilement dérouter un lecteur qui n'aurait pas eu l'occasion de lire au moins l'un des volumes des Mémoires. Si l'on fait abstraction de ceci, l'histoire est tout à fait plaisante et l'intrigue se savoure au même titre que les derniers ouvrages du Maître. D'ailleurs, celui-ci n'aurait certainement pas boudé son plaisir, hormis sans doute pour le final où il aurait à coup sûr eu son mot à dire.

Il faut aussi parler de l'impact que ce roman aura sur le tourisme vers New Crúiskeen et plus spécifiquement vers l'entrée de Vanaheim découverte par Emily Bean et son mari. Il est de notoriété publique que le couple Bean-Ymirson a découvert l'entrée du monde souterrain, mais le monde étant ce qu'il est cette destination privilégiée un temps par les touristes occidentaux a basculé dans les oubliettes. Cette publicité n'est donc pas négligeable et sans doute faut-il s'attendre à voir les journaux s'intéresser bientôt à Freysgo∂ et à Gerd.

Ce n'est certes pas un roman de la qualité de ceux de Magnus Valison, mais il a au moins le mérite de le reconnaître très honnêtement. Et pour les lecteurs qui découvriraient par ce biais la famille d'Emily Bean, c'est un excellent premier contact pour basculer ensuite vers le chef d'œuvre de Valison. Bien que dans ce cas précis, certaines choses du final n'altèrent irrémédiablement la fin du dernier volume des Mémoires. C'est en tout cas un ouvrage à découvrir, pour le seul plaisir de recroiser Notre Héroïne et son père.

Chronique II : La vraie histoire

Attention. Ce qui suit nuit irrémédiablement à l'imaginaire qui se construit durant la lecture de ce roman.

Pour un coup d'essai, Dustin Long livre ici un coup de maître, puisque c'est un premier roman qui le propulse d'ores et déjà sur la scène internationale avec une fiction pour le moins particulière.
Tout au long des deux cent et quelques pages du roman, l'auteur emmène le lecteur dans un monde qui pourrait être un univers parallèle, là où cette fameuse Emily Bean aurait découvert l'entrée de Vanaheim (haut lieu de la mythologie scandinave) et sympathisé avec les Refuserkirs, autant dire les descendants des dieux. Qui plus est, il fait constamment référence aux ouvrages de Magnus Valison (un auteur complètement imaginaire) et cite des exemples et des situations très précis. De quoi décontenancer n'importe qui, il faut l'avouer. Car tout paraît si vrai, si probable, qu'on se laisse prendre au piège. En fait, durant le temps de la lecture, on se prend à aimer que ce qui est raconté soit vrai, au moins en partie.

Et à ce petit jeu, Dustin Long réussit très bien. Il gagne haut la main son pari et ses lettres de noblesse.
Nous suivons la folle journée que vit Notre Héroïne partie à la recherche de Garm, son chien, pour oublier qu'une de ses meilleures amies vient de mourir assassinée pour un motif plutôt obscur.
A ceci s'ajoute l'enquête de deux policiers improbables et saugrenus (proches cousins de nos Dupont et Dupond nationaux), baptisés Policiers Métaphysiques, à la recherche d'un manuscrit de la morte portant sur Hamlet. Viennent encore s'ajouter à ça les déboires sentimentaux de Notre Héroïne, la maladie dégénérescente de son père, l'attention soutenue de Nathan, vedette hollywoodienne en mal de sensations et les manifestations de tendresse intéressées d'une journaliste.

Si l'intrigue paraît embrouillée, c'est qu'elle l'est réellement.
Ici, tout concourt à mettre le lecteur dans un état de semi-hébétude. Il faut non seulement jongler avec cette demi-réalité, mais aussi retenir les noms des personnages (à cet effet, le Dramatis Personae qui ouvre l'ouvrage est d'une aide très précieuse) et comprendre ce qu'il s'est passé. Car comme cette fiction est censée reprendre des éléments "réels" et la suite d'autres ouvrages "réels", le lecteur tombe forcément au milieu de liens inexpliqués et d'actions déjà consommées dont les effets se répercutent ici. Mais, point de frayeur, tout finit par s'éclaircir à la fin et l'on clôt le récit avec tous les éléments en main.

Il s'agit vraiment d'un ouvrage atypique qu'il faut prendre comme un gigantesque jeu.
Plutôt que d'essayer de démêler l'écheveau, il faut suivre l'exemple de Notre Héroïne et se laisser porter par les événements, toutes les explications viennent en temps utile.
C'est une curiosité, une sorte d'OVNI littéraire que je ne peux que conseiller aux curieux.

Cœur de chene

Extrait :

Il avait fallu attendre que L'Affaire de la Bibliothèque Bancale de Magnus Valison devienne un best-seller international pour qu'on célèbre pour la première fois la fête d'Emily Bean. Avant cela, personne n'avait évoqué le moindre désir de la commémorer. Notre Héroïne avait essayé de ne pas trop se fâcher avec Magnus à ce sujet. Ce n'était pas sa faute si ses fans étaient un peu enragés, et elle était persuadée qu'il avait écrit les livres avec uniquement les meilleures intentions. Mais à chaque Fête d'Emily Bean qui passait, elle avait un peu plus de mal à contenir sa colère.
Notre Héroïne se disait que la veillée au flambeau sur la tombe de sa mère était plutôt de circonstance, mais elle trouvait tout le reste un tant soit peu avilissant. Des fans se déguisaient aussi bien comme ses meilleurs amis que ses pires ennemis, et prenaient d'assaut la ville pour se promener sur les lieux des diverses mésaventures locales de sa famille... Notre Héroïne avait toujours l'impression qu'ils traitaient sa mère plus comme leur personnage de fiction favori que comme la femme réelle et incroyable qu'elle était.
Quelques habitants de la ville, pleins de ressources, avaient même mis en place des expositions et des parcours. Ceci allait du légèrement irritant – comme la balade en bateau baptisée "Le Tunnel de l'Amour de Vanaheim"; la "Chasse aux Reliques Vikings" dans le parc du Mémorial Emily Bean, et les adaptations théâtrales des romans de Valison montées par la troupe locale, qui donnaient à voir au public des caricatures de Notre Héroïne durant les diverses étapes de l'âge ingrat. Le pire, cependant, était survenu en 1995, quand un fan trop zélé avait paradé avec un ballon géant à l'effigie de Notre Héroïne le long de Main Street. Dès lors, elle avait toujours fait de son mieux pour passer la fête d'Emily Bean enfermée chez elle.

Icelander
Icelander de Dustin Long - Éditions Asphalte - 230 pages
Traduit de l'américain par Audrey Coussy