La nouvelle éponyme met en scène un jeune garçon des quartiers. Non pas ces quartiers que l'on veut bien nous vendre à la télé, violents et sans espoir mais un quartier où il fait bon vivre même si ce n'est pas tous les jours facile. C'est ce qu'il tente d'expliquer à un journaliste venu là avec des idées préconçues. Et il aurait presque réussi à le convaincre, s'il n'y avait pas eu LA question de trop…
Ce premier texte donne la tonalité de l'ensemble du recueil : l'écriture de Julia Billet se déploie avec poésie, élégance et subtilité sans jamais être élitiste. Les personnages, loin des clichés dans lesquels on les enferme trop souvent, sont tour à tour attendrissants, drôles ou bouleversants. Du handicap au sexisme en passant par le racisme ou les problèmes de logement, il est ici question de toutes formes d'inégalités et d'exclusions. En choisissant le format de la nouvelle, Julia Billet a opté pour des narrations resserrées, concentrées, où tout doit être dit et suggéré en quelques pages. Mais là où beaucoup seraient tombés dans un pathos larmoyant, Julia Billet parvient à surprendre son lecteur, à choisir des points de vue inhabituels qui interrogent les jeunes lecteurs sur leur propre perception des différences.
Parmi les 17 nouvelles, seules deux m'ont paru un peu plus faibles ; deux nouvelles sur le sexisme dont sont souvent victimes les jeunes adolescentes (Bobyguard et Les filles, c'est tellement compliqué !). Non seulement j'ai trouvé l'écriture en dessous des autres textes mais le traitement narratif de ces discriminations du quotidien ne m'a pas semblé abouti. 2 nouvelles sur 17, cela veut donc dire que j'ai réellement aimé les 15 autres textes. Mais comment vous en parler sans déflorer les intrigues ? Je pourrai bien sûr ne rien en dire et vous laisser le plaisir de la découverte. Mais il me semble aussi que ces nouvelles, assez brèves dans l'ensemble, pourraient être individuellement de très bons supports pédagogiques pour des classes de collège (à partir de 13 ans). Alors je vais égrainer très rapidement les différentes thématiques abordées : le handicap (Danse avec les fleurs, Mer) ; la couleur de la peau (Petite histoire de quartier, Blanche Neige) ; l'illettrisme (La bosse de l'écriture) ; les gens du voyage (Plus vrai que la littérature) ; les marchands de sommeil (Si j'avais su) ; la souffrance d'une mère au foyer (Trop cool) ; la vie à l'intérieur d'une prison pour femme (Jusqu'au bout de la nuit) ; la folie du système (La mouche) ; les sans abris (Rencontre) ; la violence faite aux enfants (Les pissenlits par la racine, L'ogre) ; notre perception de la beauté (Miroir) ou encore notre égoïsme de riches occidentaux (Jusqu'à plus soif).
Je sais déjà que quelques unes de ces petites histoires de quartiers m'accompagneront longtemps, comme Mer, à l'écriture si délicate et puissante à la fois. Ou Rencontre, plus complexe qui n'y paraît à la première lecture et qui aborde en filigrane un autre tabou de l'adolescence. Ou encore Miroir, si simple dans son sujet mais tellement bien amené. J'aurai aussi sûrement une petite pensée amusée pour les personnages de Danse avec les fleurs la prochaine fois que j'irai acheter un bouquet, et mon sang se glacera quand j'entendrai un type se disculper avec le trop commode «Si j'avais su…».
En un mot comme en cent, que vous soyez un ado de 13 ans et plus, ou un prof ayant des ados de 13 ans et plus, je vous recommande vivement de découvrir la vie qui bruisse dans les quartiers de Julia Billet.
(D'autres avis, ailleurs dans la blogosphère : Brigitte Aubonnet, Niurka, Mathilde)
Du même auteur : Le fil invisible
Laurence
Extrait de Mer :
Dehors, ça sentait quelque chose d'inconnu. Il s'est laissé surprendre. Il a voulu la mordre, mais elle avait deviné, avant lui. Un homme, celui qui peu de temps avant conduisait, a pris son autre bras, ils l'ont tiré. Elle disait encore ses mots, doucement. Il a donné des coups avec ses pieds. Voulu se jeter par terre pour s'y rouler. Ils l'ont maintenu debout.
Maintenant, il entendait un son qu'il ne connaissait pas. Une musique, un bruit régulier qui soufflait et se cognait, soufflait et se cognait, soufflait et se cognait. Il s'est peut-être demandé s'il pouvait faire ces bruits. Si ces bruits venaient de lui. Peut-être qu'il ne sest pas vraiment demandé ça, parce que les mots, il ne les a pas, alors comment il peut penser sans les mots ? Il a fait pareil avec sa bouche, souffler, cogner, souffler, cogner.
La femme et l'homme près de lui ont ri. Ils ont fait comme lui. Souffler, cogner, souffler, cogner dans l'air. Sur son visage, un sourire. Les autres, ceux qui sont autour lisent un sourire. En tout cas, il ne mord pas, il ne crie pas, il ne se jette pas par terre, il ne griffe pas, il ne frappe pas. Il souffle et fait cogner sa voix. Ses lèvres ont l'air de sourire.
Petites histoires de quartier de Julia Billet - Éditions Océan, collection Océan ados - 197 pages
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