Pourquoi lire de la littérature ? Dès le départ l'auteur limite son sujet à la littérature et exclut de son étude les ouvrages destinés à l'acquisition de savoirs (manuels, traités, études… etc). En prenant sa propre relation avec la lecture en fil rouge, il continue sur l'apprentissage de la lecture, celle de ces mystérieux signes, la question de l'âge des lectures. Selon lui, il faut donner aux enfants des lectures qui ne sont pas de leur âge. Il faut leur donner tôt la possibilité d'apprécier "la mélodie de la pensée".

On lit aussi pour soi comme un égoïste sachant que la lecture ne nous changera finalement pas. Un salaud grand lecteur restera toujours un salaud. Par la littérature, le lecteur trouve son articulation, devient un peu plus complet à chaque livre refermé. On lit aussi par amour des mots, des personnages, de l'auteur même et enfin de la littérature. Pourtant, "même si on lit beaucoup, la quantité de lectures n'anéantit pas leur qualité". C'est fort heureux.

De plus, '…les très grands lecteurs deviennent de plus en plus difficiles, cherchant dans la rareté une saveur si forte qu'ils puissent ressentir quelque chose après avoir tant et tant lu et de moins en moins éprouvé". La littérature crée un réel état de manque.

Et puis on peut aussi lire par haine quand on est soi-même auteur jalousant les autres auteurs, que l'on surveille du coin de la plume ou bien critique jaloux de tout le monde. Il me semble que C. Dantzig en est un bel exemple. Car même s'il dit apprécier Marguerite Duras et surtout ses titres, j'ai trouvé qu'il la prenait bien souvent à partie.

Entre conseils, idées que certains seraient tentés d'user comme citations pour faire genre, l'auteur semble se poser en expert.

Chaque homme est unique, c'est ce qu'on apprend à force de lire et de ne pas se trouver entier dans les livres. Ce n'est pas nous dans les livres qui nous fait juger que les livres sont bon, c'est le talent. Ce n'est pas aux personnages, aux idées qu'on veut ressembler. On veut ressembler au talent.

Il y a aussi des lectures pour se contredire, nous faire perdre quelques uns de nos préjugés avoués ou méconnus. Après une ou deux tentatives, il est possible que finalement on aime bien cet auteur. Ou bien a contrario, elles confirment que cet auteur n'est vraiment vraiment pas pour nous. On peut aussi passer à côté un chef d'œuvre, d'une écriture - C. Dantzig n'aime pas l'idée de style pour un auteur - juste parce que cette lecture s'est faite à un mauvais moment.

Le moment où on a lu un livre qu'on n'a pas aimé n'était peut-être pas le bon. L'opinion qu'on a d'un écrivain dépend non seulement du moment, mais aussi de l'âge où nous avons fait sa connaissance. Le sien, le nôtre.

Voilà une idée que je partage. Comme cette autre : "Les lectures s'essaient comme des chaussures. On ne doit pas se dire que celle-ci ou celle-là n'est pas pour nous parce que nous ne sommes pas assez bien pour elle. Il y en a qui ne sont pas assez bien pour nous".

En conclusion, chaque lecteur de ce essai y trouvera forcément ses petits, ses habitudes, ses attentes concernant la lecture. Si le sujet et certaines idées développées sont intéressants, j'ai tout de même trouvé l'ensemble assez nombriliste. Si la première moitié de ma lecture de l'ouvrage est bien passée, la seconde a été un peu plus poussive. Je me suis un peu lassée du ton peu modeste du Monsieur, un peu "je sais" ce qui est vrai dans la lecture, cette "petite sœur" de la littérature. Je me suis lassée de cette écriture faussement légère, parlée et en même temps un tantinet affectée. Le sentiment de lire un auteur qui se regarde écrire, presque cabotiner, devenait de plus en plus fort. J'ai été contente d'en finir.

Alors pourquoi lire cet essai ? Parce que lire ne sert à rien selon l'auteur. C'est pour cela qu'on aime lire. L'essai est à lire pour la curiosité et à oublier sans état d'âme. J'étais pressée de me plonger dans des choses plus consistantes. Tiens, un Steinbeck ! Eh oui, les grands lecteurs sont effectivement très difficiles à contenter.

Dédale

Extrait :

Lire pour l'obscurité
Tout s'est libéré. J'ai lu. J'ai lu, et il m'a semblé voir la lumière. Cela n'a duré qu'un instant. C'était surtout les lumières que j'avais vues, aperçues, dans le sens XVIIIe siècle du terme. Pourquoi lire ? Pour devenir moins borné, perdre des préjugés, comprendre. Pourquoi lire ? Pour comprendre ceux qui sont bornés, ont des préjugés et aiment ne pas comprendre. L'obscurité est utile à connaître. Elle fait partie de la littérature, volontairement ou pas. On peut dire que c'est une de ses singularités et une de ses qualités. Les écrivains sont sans doute les seuls littérateurs qui ne postulent pas la pureté, la perfection, la rectitude, et font même de cette absence un élément important de ce qu'ils sont, sans que ce soit, à l'exception de Rousseau, un élément d'orgueil. On lit pour voir chez les autres les défauts que nous nous cachons à nous-mêmes.

Pourquoi lire
Pourquoi lire ? de Charles Dantzig - Grasset - 244 pages