Cet été là, dans la petite ville de Castel Rock (lieu de prédilection des romans de Stephen King), la chaleur est éprouvante. Tout le monde attend avec impatience un signe de fraîcheur. Chez les Trenton, l'ambiance est plutôt tendue : Vic le père connaît des temps difficiles dans son agence de publicité ; Donna la mère, en proie aux remords, vient de mettre fin à une aventure extra-conjugale et réalise à quel point elle aime son mari. Quant à Tad, leur petit rejeton de 5 ans, il est victime d'épouvantables cauchemars et a dû mal à distinguer le rêve de la réalité.
À l'extérieur de la ville, perdue tout au bout d'un chemin, se trouve la maison des Camber. Là non plus, on ne peut pas dire que l'insouciance soit de mise. Joe, le père est un homme violent et alcoolique. La mère Charity tente tant bien que mal de protéger leur fils, Brett, un adolescent timide et docile qui a une passion pour Cujo, un gentil Saint-Bernard de plus de 100 kilos.
Un tableau finalement banal dans le fin fond de l'Amérique. Oui, sauf que le Saint Bernard de 100 kilos se fait mordre par une chauve-souris enragée dès les premières pages du récit. Voilà de quoi changer la donne...

Le décor est posé. L'action pourrait commencer.
Et pourtant, pendant plus de la moitié du roman, rien n'avance réellement et l'intrigue semble aussi ralentie que les habitants de Castel Rock sont accablés par la chaleur. En fait, Stephen King prend un malin plaisir à installer son histoire, à nous raconter par les menus détails les petits faits et gestes qui donnent corps à ses personnages et à alterner les focalisations internes. Le lecteur est alors tour à tour chef d'entreprise, épouse rongée par la culpabilité, ivrogne ou enfant terrorisé. Tant et si bien, que l'on pourrait se demander si Cujo ne relève pas plus du roman psychologique que du thriller. Et qu'on ne se méprenne pas, cette partie est tout à fait captivante. On voit chacun pris au piège de ses tourments, tenter de sortir la tête de l'eau et espérer des lendemains meilleurs. Mais surtout, elle est indispensable à la suite, car elle permet de comprendre pourquoi les événements s'enchaineront de la sorte.

Car bien sûr, l'instant tragique finit par arriver et le face à face entre le molosse enragé et l'humain en est d'autant plus impressionnant. Stephen King a fait le pari de se mettre également dans la tête du chien et non seulement sa proposition fonctionne mais elle permet l'empathie : le monstre n'est pas toujours responsable de sa monstruosité.
On retrouve dans cette dernière partie tout le talent de Stephen King pour provoquer l'angoisse et la terreur. Bien sûr, le choix des protagonistes pris au piège au piège n'est pas innocent et participe pleinement à l'horreur. Mais, ce qui est le plus insupportable c'est de voir impuissant, l'aveuglement des autres protagonistes trop centrés sur leurs préoccupations immédiates.

Certes, Cujo n'est  pas le récit le plus effrayant de Stephen King, mais à l'inverse de ceux qui ont vu dans la première partie des longueurs inutiles, j'ai trouvé ce récit extrêmement bien construit et délicieusement angoissant. Je n'ai donc absolument pas regretté d'avoir suivi ce conseil car j'ai découvert un récit plus riche que je ne l'aurais cru.

Du même auteur : Misery, Histoire de Lisey, Juste avant le crépuscule

Laurence

Extrait :

Les trois Trenton s'extirpèrent de la voiture et Vic se dirigea vers l'arrière de la Jag pour se poster près de la roue préoccupante; il se sentait assez méfiant. Peut-être aurait-il mieux valu essayer de faire tenir l'auto jusqu'à Portland, après tout. L'endroit n'augurait rien de bon ; il n'y avait pas même une enseigne dehors.
Ses médiations furent interrompues par la voix de Donna qui l'appelait nerveusement. « Oh mon Dieu, Vic… » fit-elle plus pressante.
Il se retourna et aperçut un énorme chien qui surgissait de la grande. Pendant une fraction de seconde, il se demanda même bêtement s'il s'agissait véritablement d'un chien, ou bien de quelque étrange et affreuse race de poneys. Puis, comme l'animal sortait de l'ombre protectrice de la grange, Vic remarqua ses yeux triste et comprit que c'était un saint-Bernard.
Donna avait instinctivement attrapé Tad et reculait en direction du capot de la Jag, mais l'enfant se débattait dans ses bras, tentant de se libérer.
« Veux voir le chien, Maman… Veux voir le chien ! »
Donna adresse un coup d'œil inquiet à Vic qui haussa les épaules, indécis lui aussi. À ce moment, le garçon réapparut, flattant la tête du chien tout en se dirigeant vers Vic. La bête agita une queue gigantesque et Tad se démena de plus belle.
« Vous pouvez le laisser, madame, dit poliment le garçon. Cujo adore les gosses. Il ne lui fera pas de mal. »

Cujo
Cujo de Stephen King - Éditions Le Livre de Poche - 442 pages
Traduit de l'Américain par Natalie Zimmermann