La première question qui se pose face à ce texte est celle de
l'authenticité. Le manuscript serait resté secret pendant plus d'un siècle
avant de sortir d'URSS dans des conditions rocambolesques pour être publié
aux États-Unis. Malgré un avant-propos et une préface, on peut avoir le
sentiment qu'on a lancé ce livre (qui avait déjà paru aux Belles
lettres) sans précautions éditoriales (il y a d'ailleurs des défauts
de fabrication : les références vers les notes comportent des numéros de
pages décalés de 2). On nous dit que le manuscrit était en français, mais
on lit que ce livre a été traduit du russe et de l'anglais
. Ce n'est
pas très clair et à mon avis le minimum eût été de préciser quels passages
avaient été traduits de telle ou telle langue. Comme les éditeurs eussent
vraisemblablement été plus rigoureux s'ils eussent été convaincus qu'ils
publiaient un texte authentique, il est bien difficile de croire qu'il ne
s'agisse pas d'un faux.
Il est évident que les thèmes du livres sont plus que différents de ceux
de ses œuvres les plus connues et le vocabulaire aussi, puisqu'un des mots
que l'on lit le plus souvent est con
(dans son sens premier, souvent
avec une majuscule comme on met à Dieu
). L'essentiel du livre relève
en effet de la littérature érotique. De nombreuses scènes aux
configurations les plus extravagantes sont décrites sans rien omettre des
détails les plus scabreux. En milieu de livre, on trouve quelques
aphorismes, comme Les femmes sont pleines de fausseté : les dames de la
société prétendent qu'elles ne veulent pas et les putains prétendent
qu'elles veulent.
. On lit aussi quelques réflexions
sur la monogamie : en jurant fidélité lors de son mariage, l'auteur pensait
pouvoir atténuer son besoin frénétique de passer d'un con à un autre, mais
cela semble l'avoir rendu plus malheureux, l'envie étant trop forte et
dorénavant accompagnée d'un sentiment de culpabilité.
Le livre a beau être divertissant, surprenant et, faux ou pas, bien renseigné sur l'entourage de Pouchkine, je pense qu'il vaut mieux occuper son temps à lire Eugène Onéguine...
Extrait :
Je regarde les centaines de livres qui ornent mon bureau et me rends compte que, pour la plupart, je ne les ai pas touchés depuis la première fois où je les ai lus ou feuilletés. Mais il ne me vient même pas à l'esprit de m'en débarasser — qu'adviendra-t-il si un jour j'ai envie d'ouvrir celui-ci ou celui-là ? J'ai dépensé mes derniers roubles tant pour l'acquisition de nouveaux livres que pour me payer des putains. Acheter des livres est un plaisir très différent de celui de la lecture : examiner minutieusement, renifler, feuilleter un nouveau livre est un bonheur en soi.
La disponibilité des livres me donne confiance, je peux toujours en profiter si je choisis de le faire. Il en est de même avec les femmes — il m'en faut beaucoup et elles doivent s'ouvrir devant moi à la manière des livres. En vérité, pour moi, les livres et les femmes se ressemblent beaucoup. Ouvrir un livre, c'est comme écarter les jambes d'une femme — la connaissance se dévoile sous vos yeux. Chaque livre a sa propre odeur : lorsque vous l'ouvrez et le respirez, vous sentez l'encre, et pour chaque livre c'est différent. Couper les pages d'un livre vierge est un plaisir indescriptible. Même un ouvrage stupide me donne du plaisir quand je le manie pour la première fois. Plus le livre est intelligent, plus il m'attire, et la beauté de la couverture ne m'importe pas. Ce qui n'est pas toujours le cas avec les femmes.
De même qu'une femme peut avoir du plaisir avec n'importe quel homme habile, un livre s'offre à celui qui s'en saisit. Il distillera le plaisir délicat de son savoir à quiconque est capable de le comprendre. Je suis donc jaloux de mes livres et n'aime pas les prêter à qui que ce soit. Ma bibliothèque est mon harem.
Journal secret d'Alexandre Pouchkine (?) - Belfond - 202 pages.
Traduit du russe et de l'anglais par Mickael Korvin
Commentaires
jeudi 10 mars 2011 à 21h38
This is the most profound book on mans sexuality and creativity.