Dans Des souris et des hommes, il y a des souris et surtout George Milton et Lennie Small, deux amis, deux journaliers qui vont de ranch en ranch pour y travailler.
Lénine est un bon grand géant, simple d'esprit. Il oublie vite tout ce qui n'est pas lié au poil doux des souris ou des lapins, au prochain repas. Il obéit à George comme le ferait un grand enfant mais parfois il s'emmêle un peu les crayons dès qu'on le questionne un peu de trop.
George est plus petit, aigu et surveille Lennie comme le lait sur le feu. Depuis le décès de la tante Clara, il a pris en charge Lennie. Son ami n'est pas bien méchant mais il ne fait que des bêtises car il ne mesure pas sa force. Il caresse les souris, les lapins, les chiots comme les robes ou les cheveux des jolies femmes. Mais Il ne sait pas que tout cela peut être fragile dans ses grosses pattes.

George et Lennie arrivent dans un ranch pour y travailler mais surtout fuir les soucis laissés dans le ranch précédent. Ils espèrent se faire assez d'argent à porter des sacs de grains pour s'acheter un bout de terrain, une ferme et y vivre tranquillement.
Dans ce nouveau ranch, ils rencontrent Curley, le fils du propriétaire, fou de boxe, hargneux comme une teigne et cherche des histoires à tout le monde. Il y a aussi sa femme, Slim le roulier, Crooks le palefrenier noir, Candy un vieux journalier amputé d'une main.

Dans ce roman, il ne faut pas chercher une intrigue compliquée. L'auteur a opté pour la simplicité : dire les faits, les mots, des répétitions des paroles banales et vulgaires de ses personnages sans fioritures aucune. Certains pourraient dire que son choix d'écriture est sec, blanc mais justement c'est tout ce qui donne la puissance à l'histoire, aux mots, aux héros. Et comme le dit J. Kessel dans la préface : « on sent leur souffle et leur présence. Elles s'imposent. Elles obsèdent. Le sang le plus authentique les anime. »

Steinbeck ne s'évertue pas à nous détailler toutes les pensées, la psychologie de ses personnages. Non, il se contente du parlé propre aux ranches de la vallée de Salinas dans les années 30 qu'il connaît si bien. Rien de tel pour exacerber les sentiments, pour montrer sans en avoir l'air comment la situation s'envenime toute seule. Car bien évidemment, un drame aura lieu. C'est comme l'arrivée d'un orage que l'on pressent à une multitude de petits signes insignifiants, au frottement des caractères.

Dans ce ranch, tous ont un rêve, une espérance et des déceptions. Lennie ne pense qu'à s'occuper de lapins doux aux poils longs. Georges rêve d'avoir une ferme à lui, avec des vaches des poules des cochons, un poêle rond dans la maison pour l'hiver et chacun sa chambre. Un endroit où y recevoir qui on veut.
La femme de Curley, dont on ne connaîtra jamais le nom, aurait pu être actrice au théâtre ou faire carrière au cinéma. Mais le rêve n'était que belles paroles d'hommes profiteurs. Par dépit, elle s'est mariée à Curley. De plus, seule femme dans cet univers d'homme, elle n'a personne avec qui parler. Elle promène donc ses formes, les œillades et son ennui au milieu de ces hommes. Crooks le palefrenier rêve d'une vie autre que celle d'un noir estropié. Candy est trop vieux et n'a qu'une main mais il partagerait bien ses économies pour sa part dans le rêve de George.

Tous sont seuls avec leurs espérances, leur envie d'une vie meilleure. Tous ont ce besoin de partager leur rêve avec quelqu'un d'autre. Au final, il n'y a peut être que Slim le roulier, toujours solide et calme, habile à cerner les êtres, pour être content de son sort.

La morale de cette histoire pourrait être que l'on a tous une vie de chien, de misère et de solitude et que ce sont nos rêves qui nous mènent sur de plus ou moins bons chemins. Des souris et des hommes, c'est court mais intense, rude et pourtant plein de subtilité, de sensibilité, plein d'une amitié brute qui tait sa tendresse de fond.
Et toujours J. Kessel pour conclure : «… une admiration profonde et stupéfaite se lève pour l'auteur qui, en si peu de pages, avec des mots si simples et sans rien expliquer, a fait vivre si loin, si profondément et si fort. »

Du même auteur : À l'est d'Eden, Tendre jeudi, Rue de la Sardine. Tortilla Flat

Dédale

Extrait :

Lennie dit, lamentablement :
- George ne s'en ira pas, il ne me laissera pas seul. J'sais bien que George n'ferait pas une chose pareille.
Le palefrenier continua rêveusement :
- Je m'rappelle quand j'étais gosse, dans la ferme à volailles de mon père. J'avais deux frères. Ils étaient toujours avec moi, toujours là. On dormait dans la même chambre, dans le même lit... tous les trois. On avait un carré de fraisiers, un coin de luzerne. Quand il y avait du soleil, le matin, on lâchait les poulets dans la luzerne. Mes frères plantaient un grillage autour et les regardaient… blancs qu'ils étaient, les poulets.
Peu à peu, Lennie s'intéressait à ce qu'il entendait.
- George a dit qu'on aurait de la luzerne pour les lapins.
- Quels lapins ?
- On aura des lapins et un carré de fraisiers.
- T'es dingo.
- Pas du tout, c'est vrai. Tu demanderas à George.
- T'es dingo, dit Crooks, méprisant. J'ai vu des centaines d'hommes passer sur les routes et dans les ranches, avec leur baluchon sur le dos et les mêmes bobards dans la tête. J'en ai vu des centaines. Ils viennent, et, le travail fini, ils s'en vont ; et chacun d'eux a son petit lopin de terre dans la tête. Mais y en a pas un qu'est foutu de le trouver. C'est comme le paradis. Tout le monde veut un petit bout de terrain. Je lis des tas de livres ici. Personne n'va jamais au ciel, et personne n'arrive jamais à avoir de la terre. C'est tout dans leur tête. Ils passent leur temps à en parler mais c'est tout dans leur tête.
Il s'arrêta et regarda vers la porte ouverte, car les chevaux s'agitaient, inquiets, et les licous cliquetaient. Un cheval hennit.
- J'parie qu'il y a quelqu'un là-bas, dit Crooks. Peut-être bien Slim. Des fois, Slim vient deux ou trois fois par nuit. C'est un vrai roulier, Slim. Il s'préoccupe de ses bêtes.
Il se mit péniblement debout, et s'approcha de la porte.
- C'est toi, Slim ? Cria-t-il.
La voix de Candy répondit :
- Slim est allée en ville. Dis, t'as pas vu Lennie ?
- Le grand type tu veux dire ?
- Oui, tu l'as pas vu par là ?
- Il est ici, dit Crook brièvement.

Des souris et des hommes
Des souris et des hommes de John Steinbeck - Folio - 175 pages
Traduit de l'Américain par Maurice-Edgar Coindreau.