Santiago-Tiago répète à qui veut l'entendre que son véritable nom est Jamaica, qu'il est juif, et qu'il en a eu la révélation à la synagogue de Safed.

Dana qui essaie de l'aider et de comprendre ce qui l'a fait basculer dans un autre univers, trouve dans un ouvrage du 17e siècle, La Relation de la Guerre du Bagua, un épisode des luttes des Indiens du Pérou contre les conquérants espagnols, des phrases et le nom Jamaica, prononcés par Tiago.
Il existe donc de troublantes ressemblances entre le récit du 17e et l'histoire d'aujourd'hui, entre les persécutions dont furent victimes les Indiens, et les persécutions dont sont victimes les minorités d'aujourd'hui. La "folie" de Tiago est de vouloir sauver les opprimés, lutter contre les injustices et redresser les torts, tel un moderne Don Quichotte.

Le roman parcourt diverses époques, de l'Inquisition espagnole qui sévissait aussi en Amérique, au monde contemporain avec le conflit israelo- palestinien et les flambées de violence dans les banlieues de Paris en 2005. Voyage dans le temps, voyage dans l'espace : à la suite des héros, le lecteur se promène d'Israël à Grenade en passant par Paris et le Pérou colonial. L'auteur se donne la liberté d'insérer un roman dans le roman en écrivant cette Relation de la guerre du Bagua, qui n'est pas un des moindres intérêts d'un livre dans lequel personnages, situations, évènements se répondent comme dans un miroir.

En dépit de quelques longueurs, ce roman touffu se lit facilement. On ne peut qu'être touché par la douleur du personnage qui porte en lui les douleurs de l'humanité, même s'il est parfois exaspérant ! l'œuvre de J-M.Fajardo est enfin un bel hommage rendu à  la langue judéo-espagnole des juifs séfarades qui a survécu jusqu'à aujourd'hui, malgré les vicissitudes de l'Histoire.    

Marimile

Extrait :

"Que crois-tu qu'il est arrivé aux centaines de milliers de gens qui se sont convertis au catholicisme et qui n'ont pas quitté l'Espagne après le décret d'expulsion? Que crois-tu, qu'ils se sont évaporés?Non, ils sont restée comme chrétiens bon gré, mal gré" se répondit  Tiago, et il se lança dans un inventaire des souffrances infligées aux convertis espagnols, harcelés par l'hostilité et la convoitise des vieux-chrétiens, qui enviaient leurs connaissances et rêvaient de s'emparer de leurs biens, comme ils l'avaient déjà fait avec ceux qui étaient partis en exil, poursuivis par l'intolérance de l'Inquisition qui voyait en chacun d'eux un suspect d'hérésie, un judaïsant qui pratiquait en secret la religion de Moise. "Ils sont victimes de ségrégations", continua Tiago, de plus en plus agité, secoué par son emportement,"on les traitait comme des pestiférés, comme si leur sang transmettait une maladie morale mortifère, on les traitait comme des rats dans la sentine d'un vaisseau, avec la même rage impitoyable, en les pourchassant avec pièges et délations, on a transformé l'Espagne en un nid de mouchards qui envoyaient le premier venu sur la paille humide des cachots avec une accusation le plus souvent fausse qui en général dissimulait de minables règlements de comptes, des rancœurs et des jalousies parées de toutes les vertus... Ah il était beau le courage des délateurs anonymes qui montraient du doigt la victime, à l'abri des ombres de la lâcheté satisfaite... Je les hais, je les hais même s'ils sont morts depuis des siècles, je hais ces pieux hypocrites satisfaits de leur petite personne, vertueux jusqu'au crime, capases de yevar au bûcher une femme pour quelques palavras de trop...

Mon nom est Jamaica
Mon nom est Jamaica de Jose Manuel Fajardo - Éditions Le Métailié - 304 pages
Traduit de l'espagnol par Claude Bleton