Heydrich est aussi chef de la Gestapo, chef des services secrets et bras droit de Himmler. C’est d’ailleurs de cette filiation que vient le titre qui signifie « Himmlers Hirn heiβt Heydrich » soit le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich. Ce dernier a aussi travaillé activement à l’élaboration et à la planification de la solution finale. La mort du nazi surnommé par Hilter lui-même « l’homme au cœur de fer » serait un coup dur pour le IIIe Reich et un coup d’éclat pour la résistance. L’attentat est soigneusement planifié. Heydrich, qui est sûr d’avoir éradiqué toute forme de résistance, voyage dans une Mercedes décapotable et ne prend plus la peine de se faire escorter. Nous sommes à Prague, le 27 mai 9142 et Jozef Gabcik et Jan Kubis se postent dans un virage…
HHhH n’est pas seulement le roman de l’opération Anthropoïde. C’est même en grande partie le roman d’un écrivain qui travaille à écrire un roman sur cette opération. Un écrivain qui, en outre, s’est donné pour ambition de romancer aussi peu que possible son histoire, de rester au plus proche des faits historiques, pour coller à l’Histoire. Un auteur qui partage avec le lecteur ses questionnements, importants ou futiles, tant sur le fond (comment vérifier la véracité d’un fait ?) que sur la forme du roman. Le lecteur a ainsi l’occasion de mesurer l’important travail de documentation réalisé par Laurent Binet et sa façon d’utiliser cette matière brute pour en faire un roman astucieux. Mais l’auteur va plus loin et s’accorde des digressions, parfois un peu longues, sur des sujets plus personnels. Quelle est la part de fiction dans ces digressions ? Voila parfois la seule question intéressante à se poser tant ces écarts peuvent paraître insignifiants en regard du reste du roman. La narration, sous forme de chapitres très courts – parfois quelques lignes – entremêle, le plus souvent avec bonheur, grande et petites histoires. Laurent Binet se permet une liberté de ton qui dépoussière le roman historique classique même si, par moment, sa familiarité peut déconcerter.
Extrait :
Au début, ça m’avait semblé une histoire simple à raconter. Deux hommes doivent en tuer un troisième. Ils y parviennent, ou non, et c’est fini, ou presque. Tous les autres, pensais-je, étaient des fantômes qui allaient glisser élégamment sur la tapisserie de l’Histoire. Les fantômes, il faut s’en occuper, et cela demande beaucoup de soin mais cela, je le savais. En revanche, j’ignorais, et j’aurais dû m’en douter pourtant, qu’un fantôme n’aspire qu’à une seule chose : revivre. Et moi, je ne demande pas mieux, mais je suis tenu par les impératifs de mon histoire, je ne peux pas laisser toute la place que je voudrais à cette armée des ombres qui grossit sans cesse et qui, pour se venger peut-être du peu de soin que je lui accorde, me hante.
HHhH de Laurent Binet - Éditions Gallimard - 440 pages
Commentaires
vendredi 1 avril 2011 à 10h04
Bravo Lhisbei Ton billet fait pencher la balance du bon côté !
vendredi 1 avril 2011 à 17h41
j'ai eu de la chance je suis tombée sur le livre sans connaître sa médiatisation (parfois j'ai l'impression de vivre dans une grotte). j'ai pu en faire une lecture "neutre". le positif l'emporte même s'il y a une petite baisse de rythme juste avant les cent dernières pages...
samedi 2 avril 2011 à 12h58
J'attendais ton billet avec impatience Lhisbei - désolée pour l'énigme de dimanche dernier, j'étais appellée à une mission citoyenne, le dépouillement des votes de ma commune - parce que j'avais découvert ce Laurent Binet avec beaucoup d'intérêt. Ton billet est fidèle à ce que j'en avais ressenti, le roman dans le roman, ou l'interrogation perpétuelle devant la littérature. merci d'avoir fait ressurgir cette émotion en moi et bonne découverte aux biblioblogueurs qui ne l'ont pas encore lu.
lundi 11 avril 2011 à 15h23
Merci Lhisbei pour cet intéressant billet qui présente très bien ce roman. J’avais aussi écrit sur ce livre dans mon blog, avec un angle un peu différent. Pour ma part j’ai trouvé que les interrogations de Binet sur son propre ouvrage étaient lassantes. Bien vu, il dépoussière en effet le roman historique, à ceci près qu’il réfute cette appellation ! Très bon choix d’extrait.
mardi 26 juillet 2011 à 00h25
Laurent Binet s'interroge sur l'histoire qu'il veut écrire et dont il ne voudrait pas faire un roman. Il se tape sur les doigts publiquement s'il se laisse aller à imaginer un dialogue. Il nous prend à témoin sur un ton bon enfant - du style : "regardez comme je suis simple, bien qu'auteur du l'ouvrage que vous lisez". Le résultat de ces commentaires, parfois insignifiants en effet, c'est que l'histoire, pourtant tragique, perd de sa force, se dilue dans des à-côtés au ton contemporain qui détonne.
Et pourtant, les dernières pages sur la bataille mortelle dans l'église sont poignantes, et on partage bien sûr, la profonde empathie de l'auteur pour ses héros, authentiques résistants tchèques. Les aurais-je moins admirés si Laurent Binet n'avait pas répété à quel point il les aime ? Je ne crois pas...