Sorti au même moment que la fameuse Première gorgée de bière de Philippe Delerm, cette célébration est aussi un éloge de la vie quotidienne, de ces petites riens cachés sous nos yeux. Ce peut être une cuisine-cœur d'une maisonnée, un matin tranquille avant l'éveil des enfants, le besoin d'éplucher des oignons quand le cœur est trop lourd, le charme d'une maternité, de l'intensité d'une vie de femme.
Tout son talent est de nous restituer tout cela et bien d'autres choses encore dans toute leur beauté, simplicité. Tout est une question de regard, d'attention, d'état d'esprit.

J'ai particulièrement aimé ces mots, ces phrases qui résonnent au détour d'une ligne, d'une page. Chaque lecteur y trouvera forcément son compte. Cette Célébration est un texte en prose mais rythmé comme un long poème. Normal car l'auteur œuvre également dans ce genre littéraire là. J'ai aimé cette reprise en fin de ces petits textes de la première phrase qui l'a ouvert, comme une rime d'un long poème en prose, donne son rythme, son intensité au texte. « Je vous écris d'une cuisine… Je vous écris d'un matin… »

Il y a aussi ces passages un peu à part où elle relate sans pathos ses moments privilégiés avec une de ses amies gravement malade, en proie aux douleurs, à la fatigue des traitements. Ces conversations au fond d'un jardin. Ces petits moments de complicité face à l'adversité. Des lectures, des souvenirs partagés.

Pour une pause douceur, cela ne fait pas de mal de temps en temps.

Du même auteur : Perdre pieds

Dédale

Extrait :

Aucune cuisine n'est assez vaste pour accueillir tous ceux qu'impressionnent à leur insu la salle de séjour, le salon, et que mettent en confiance l'épluchage des légumes, la cuisson d'une ratatouille. Recevoir dans sa cuisine, est-il signe de confiance plus vif ? Les enfants le savent bien  ils pêchent au passage une pomme de terre brûlante dans sa robe des champs, un haricot ébouillanté. Ils s'épanchent au dessus d'un chocolat chaud ou d'une confiture fraîchement mise en pot. Ils avouent et s'avouent entre deux kilos de pois à écosser ou interrogent en garnissant le plat. Accueil et refuge, pour soi d'abord. Dans les cafards comme dans les détresses, ce réconfort sans emphase que drainent avec eux les gestes domestiques ! Laver la salade, battre les œufs, peler les pommes pour une compote, couper des oignons et les faire rissoler. Le cœur a beau être gros à en éclater, la tête lourde et la gorge serrée, les mains adroites s'activent, rincent, épluchent, pétrissent, découpent et placent, entraînant l'être tout entier dans leur mouvement, après l'avoir arraché à la terrifiante paralysie du malheur, à son inertie. Faire quelque chose, une chose, serait-ce la plus insignifiante, plutôt que de céder à la fascination du vide, plutôt que de s'abîmer. Même si les mains vont automatiquement, comme on conduit une voiture sans y penser, l'esprit ailleurs, même si elles semblent détachées du corps, elles vont.
Plaisir naïf, sensuel, élémentaire de cette omelette baveuse, de ce gratin doré, de cette menthe odorante, de ce chou-fleur grenu sous les doigts, de ce bouquet sauvage posé sur le chêne. Le regard s'éclaire malgré lui, malgré soi  une espèce de chaleur, de sourde satisfaction, monte de la vaisselle rangée, de l'évier étincelant, de la table dressée. Un équilibre s'ébauche ou se rétablit.
Les désarrois peuvent s'ancrer dans ce paisible rituel, trouver la consolation des objets familiers. Le bol épouse la main désemparée, la croûte du pain gratte la joue qui s'y appuie, les oranges luisent, goguenardes, entre les poires ventrues et prêtent à sourire. Les choses nous lâchent moins facilement que les êtres, nous demeurent, alors que tout semble s'évanouir autour de nous.

Célébration du quotidien
Célébration du quotidien de Colette Nys-Mazure - Editions Embrasure - 156 pages