La gifle est un roman choral où l'auteur nous donne le point de vue des principaux personnages impactés par les conséquences de cette gifle : Hector beau mec mais un peu lâche sur les bords, Rosie la mère d'Hugo aux principes d'éducation assez particuliers, Harry le cousin d'Hector imbu de sa richesse, Aisha la belle indienne, talentueuse vétérinaire et surtout la femme d'Hector, Manolis le père d'Hector le patriarche qui se sent bien vieux pour cette époque et pour ces enfants petits et grands qu'il ne comprend plus ou pas, Connie et Richie deux adolescents qui se cherchent, Anouk l'amie de longue date de Aisha et de Rosie.

En fait, cette gifle, qui catalyse toutes les lâchetés, les hypocrisies, les rancunes enfouies n'est qu'un prétexte pour dessiner le portrait de cette société australienne que le monde entier trouve sympathique, modèle de tolérance, miracle des métissages. Mais sous les clichés habituels le tableau est nettement moins reluisant. Alors on trouve les pro Hugo ou ceux qui considèrent que l'on ne touche pas à un enfant aussi odieux qu'il puisse être et ceux qui pensent d'une fessée de temps en temps pour lui donner des limites, c'est pas la mort !

On y parle d'éducation des enfants, de relations parents-enfants, de conflits de génération surtout quand vous avez des parents grecs. Il y a du sexe, de la drogue et de l'alcool, du racisme et de la violence tout court ou bien conjugale, une petite dose de machisme primaire en veux tu en voilà. On y trouve des hétéros dans leur crise de la quarantaine, des femmes qui ne veulent pas d'enfants, des gosses homos, des asiatiques, des indiens, des aborigènes, des chrétiens, des musulmans, des riches et des pauvres sans oublier des métèques à la pelle et des filles noires qui sont forcément toutes des putes… etc Bref un beau panel de tout ce qui peut exister sur cette bonne vieille terre. L'auteur tente de montrer combien tout cela a du mal à cohabiter.

Mais si l'intention est bonne, le résultat m'a laissé sur ma faim. Bien des passages à mon sens sont superflus et ont eu raison de ma lecture. J'ai été contente d'en finir. Trop de clichés, de bons sentiments ou bien une morale qu'il est de bon ton de retrouver ou bien ces principes New age de prendre à rebrousse poils. Mais c'est quoi ce New age ? Où l'auteur voulait-il en arriver ? Je me le demande. Car que l'on soit en Australie, en France ou ailleurs, c'est du pareil au même. Je m'interroge donc - mais pas longtemps - sur le fait que cette Gifle est considérée comme un immense succès en Australie, une révélation littéraire. Tant mieux pour les australiens. Pour sa défense, j'ai lu cette Gifle juste après La Trêve de Primo Levi. Cela explique peut être que ce roman somme toute agréable à lire ne m'ait pas touché autant qu'il aurait peut être pu en d'autres circonstances.

Dédale

Extrait :

- Non ! Non, non, non, non, non…
Comme si le gamin se fondait dans ce seul mot, que le monde entier se résumait à ses hurlements.
- … non, non, non, non, non !
Hugo. Tout le monde savait maintenant, supposa Hector, que cela ne pouvait être que lui. Les hommes se précipitèrent dans le jardin - pensant qu'il y avait peut-être un lien entre les hurlements et les règles du jeu - et donc il revenait aux hommes de faire l'arbitrage. Hugo frappait maladroitement le sol avec la batte  il avait besoin de ses deux mains pour la tenir, mais il la serrait bien et ne la lâcherait pas. Ravi essayait de le calmer et Rocco boudait derrière son guichet improvisé.
- C'est bon, Hugo, tu n'es pas éliminé.
Rocco ne l'entendait pas de cette oreille.
- Si. Il a mis sa jambe.
Ravi lui sourit.
- Écoute, il ne sait même pas que c'est une faute.
Quittant la véranda d'un bond, Gary se dirigea vers son fils.
- Viens, Hugo, je vais t'expliquer pourquoi tu es éliminé.
- Non !
Le même cri perçant. Le gamin semblait prêt à frapper son père avec la batte.
- Pose-moi ça !
Hugo ne bougea pas.
- Pose cette batte, et tout de suite !
Silence. Hector se rendit compte qu'il retenait son souffle.
- Tu es dehors, Hugo, tu nous soûles !
A bout de patience, Rocco s'approcha dans l'intention de lui prendre la batte. Poussant un hurlement, Hugo lui échappa et, se redressant, leva la batte au-dessus de sa tête. Hector se figea. "Il va lui taper dessus. Il va lu foutre un coup de batte."
En reprenant son souffle, Hector vit Ravi bondir vers les gamins, entendit Gary pousser un juron furieux, puis Harry les dépassa l'un et l'autre et attrapa Hugo - le tout en une seconde. Harry souleva le gamin si haut que celui-ci, effrayé, lâcha enfin la batte.
- Laisse-moi ! rugit-il.
Harry le reposa par terre. Hugo, cramoisi, lui donna de violents coups de pied dans les tibias. Hector sentait le speed courir dans ses veines, ses poils se dresser dans son cou. Il vit son cousin lever le bras, fendre l'air, et la paume ouverte s'abattre sur le garçon. Il y eut comme un écho. La gifle déchirait le crépuscule. Choqué, le gosse regardait Harry. Alors un long silence. Comme si Hugo n'arrivait pas à comprendre ce qui venait d'arriver, à établir une relation de cause à effet entre le coup et la douleur qui commençait à sourdre. Le silence se brisa, le môme était décomposé, et cette fois il ne gueulait plus : les larmes coulaient sans bruit sur ses joues.
- Espèce de bête sauvage !
Gary fonça sur Harry et faillit le renverser. Un cri retentit, Rosie les dépassa et prit son enfant dans ses bras. Les deux époux lâchaient des torrents d'insultes sur Harry qui, lui-même en état de choc, reculait vers le mur du garage.

La gifle
La gifle de Christos Tsiolkas - Editions Belfond - 467 pages
Traduit de l'anglais (Australie) par Jean-Luc Piningre