On y découvre tout d'abord une famille unie, aimante où tous les membres ou presque s'appelle de petits noms affectueux. Mérotte pour Augusta, la mère au caractère bien trempé, Paulette dite Popo,la petite sœur du militaire. Il y a aussi Louis, le père vétérinaire de son état, incorporé sous les armes en Bretagne. On n'oubliera pas le grand-père, lui aussi vétérinaire qui assurera la continuité de la charge durant tout le conflit à la place de son gendre et en attendant que Pierre prenne sa suite.

Pierre a été mobilisé durant 51 mois en tant que chauffeur mécanicien. Par chance il ne sera pas un planqué. Il combattra lui aussi sur les fronts de l'est et du nord de la France avant de rejoindre l'armée d'Orient à Salonique. Là-bas, il découvrira l'Albanie, la Macédoine, la Grèce, des pays et climats bien différents que sa terre natale.
A son retour en France en octobre 1917, il sera versé dans les chars d'assaut. Il connaîtra encore le feu des combats, sera blessé au visage près de Dunkerque. L'armistice sera déclarée alors qu'il soigne encore ses blessures. En parallèle, il travaille dur pour prendre du galon et reprendre des études et surtout être apte à entrer à l'école vétérinaire à Toulouse.

Surprenantes donc ces lettres et autres documents glissés (articles de presse, cartes postales ou bouts de papier quand le temps manquait pour écrire) qui en disent long sur une famille bourgeoise de Montauban durant le grand conflit. Intéressantes aussi sur la volonté à toute épreuve de ce garçon qui veut absolument montrer son patriotisme, pour rien au monde être un planqué (insulte suprême).
Par ces échanges constants entre le fils et la mère, on comprendra aussi le lien unique qui les lit. Mérotte est plus qu'une mère pour son fils. Elle est également son amie, sa confidente même quand il s'agit de parler des autres femmes et surtout de Marie-Antoinette son amie d'enfance, qu'il épousera plus tard.

Par ces courriers, on découvrira combien le sort des engagés est loin d'être simple. Ils sont toujours à court d'argent pour agrémenter la popote, car tout est partout si cher et approvisionnement difficile. Ce sera de continuelles demandes d'argent, de tabac, de linge pour lutter contre la pluie, la boue, le froid. Pourtant, ce ne sont pas les conditions des gars terrés dans les tranchées de l'est.
On découvrira aussi les conditions de vie des hommes envoyés en Orient qui ont plus souffert – mourant par milliers – de la chaleur et des maladies que des rares combats dans lesquels ils ont été lancés.

Et puis, intéressantes aussi sont les photos que Pierre a réalisé durant sa période d'engagement. Car dans son bagage, Pierre a emporté son West Pocket Kodak. Ses photos et notamment celles choisies par l'auteur sont merveilles pour illustrer cette foisonnante correspondance, étayer les propos du militaire, montrer combien il était curieux de tout, des pays et des gens rencontrés en Orient et en France. Des images étonnantes et différentes de celles publiées par les officiels.

Et même si on ne dispose dans cet ouvrage que des lettres de Pierre à sa mère ou sa sœur et pas des réponses qu'il a pu recevoir, même si ses lettres à des hommes mûrs de son entourage où il parle plus clairement, violemment de ses conditions de vie, des combats, cette correspondance à sa Mérotte est vraiment intéressante. Elles dressent un portrait d'un jeune homme intelligent, étonnamment curieux et ouvert sur ce qui l'entoure, responsable et presque chef de famille après le décès du père.

On ne peut être que d'accord avec les propos de Jean-Pierre Guéno dans sa préface, Catherine Labaume-Howard, en publiant ainsi les lettres de son grand-père, redonne ses « lettres de noblesse » à un genre, un exercice de plus en plus oublié. À l'heure des sms, des courriels et suprématie des écrans d'ordinateurs ou de mobiles, « la lettre reste « un baiser », une « caresse », un vecteur d'affection » à nul autre pareil. Dans notre monde qui se, nous déshumanise si vite, il serait si bon de reprendre le crayon et la page blanche.

Dédale

Extrait :

Le 15 avril 1917
[…]
Oh mémère, écris-moi, écrivez-moi bien souvent. Comme nous sommes loin, perdus, isolés, privés de tout contact avec le monde, une lettre, mais c'est un baiser, une caresse qui vient redonner à notre âme un peu de cette affection qui lui manque tant. Une lettre, c'est le courage qui renaît, tout le bon cœur, l'énergie qui se réveillent. Une lettre, enfin, c'est une communion d'âmes qui nous permet de penser, de vivre un peu près de vous.
Oh mémère, ne fais pas de peine à ton gosse. Écris-lui ces bonnes lettres qui seules savent lui rendre sa gaieté, alors comme je t'écrirai avec joie et comme je t'embrasserai bien fort, bien fort…
Mais parlons un peu de moi. Comme je te l'avais dit dans une lettre il y a longtemps déjà, nous sommes allés passer quelques temps en Al… Nous voici revenus et pour cause. Nous sommes donc de nouveau autour de M. Et pour ce qui est de la guerre, pas de changement. Je vais cependant avoir un peu de répit. Le matériel commençant à être complètement usé, je crois que l'on aura un peu de repos.
Le seule changement notable, c'est le climat. Il y a huit jours, nous avions de la neige, maintenant l'été commence et nous voilà déjà en chemise avec les casques coloniaux. Je tiendrai toujours le coup, je l'espère : jusqu'ici, pas de fatigue, pas de fièvre, et si ce n'était le cafard, ça irait à merveille.
Et à la maison, quoi de neuf ? Comme ce seul mot évoque des souvenirs, comme je désire avoir des renseignements sur tout… La maison, mémère, c'est ma patrie encore plus personnelle que la grande. Et en pensant à elle, je vous vois tous réunis. Je vois grand-père travaillant toujours avec ardeur pour son petit-fils, ma petite Popo bien grande, bien mignonne, grand-mère à son ouvrage et toi te mettant en autre pour que tout marche bien. Et je vois aussi ma chambre avec tous ces bibelots, les pipes alignées.
Oh mémère, tu me promets de me causer longuement, bien longuement, si tu le fais je t'embrasserai bien bien fort.
Je t'embrasse de tout mon codeur ainsi que tous autour de toi.
Pierre

Lettres de la "der des der"
Lettres de la "der des der" de Catherine Labaume-Howard - Éditions La Louve - 270 pages