Par ce retour, A. Rahimi veut retrouver son frère, son pays, ses souvenirs d'enfance, revenir d'exil. Très vite il réalise que ses appareils sophistiqués, ses numériques ne sont pas les meilleurs outils pour montrer, voir ce qu'il découvre sur place.

Ce qu'il te faut, c'est un appareil qui sache voir.

Il choisira celui des "photographes ambulants, de l'instantané - indispensable". Ce sera cette grosse boite en bois montée sur trépied, une chambre claire. "Sur la photo on dirait des personnages du siècle dernier." On en est pas loin tant dans la réalité, les ténèbres ont fait sauté plusieurs encoches de temps à la ville et ses habitants. L'appareil sur l'épaule, il marche dans les rues meurtries. Tout est Terre et cendres.

Ce retour imaginaire est une sélection d'une cinquantaine de photos en noir&blanc, comme passées au bâton charbonneux. Elles ont un rendu, un grain si particulier que l'on a l'impression que l'image a très peu marqué le papier. C'est comme si on regardait des photos abandonnées trop longtemps dans un grenier et sur lesquelles le temps a laissé des traces. Ces chambres claires peu maniables, pas du tout adaptées au projet d'origine mais qui finalement font merveille, fixent très bien l'inanimé mais rendent les mouvements flous. Les êtres humains paraissent comme des fantômes, des êtres d'un temps disparu. Après tant d'années de guerre, de mort et de destructions, peut être sont-ils réellement devenus des fantômes. Des hommes, des femmes et des enfants, survivants d'un temps, d'un monde qui n'existe plus. Un monde qu'ils gardent en eux au chaud, comme un rêve.

Ils s'accrochent à ce rêve pour oublier que le pays est devenu celui "où les enfants apprennent la mort dès leur premier souffle" et ceux qui prennent "les pierres tombales pour des tableaux noirs" sont ceux qui sont sortis vivants du "brasier de la guerre".

Tout au long de l'ouvrage, en peu de mots, réflexions poétiques, contes et légendes ancestraux accompagnent ces photos d'une réalité dévastée. Comme ce très beau conte du Simorgh, le conte des oiseaux. Ces photos parlent d'elles-mêmes. J'ai aimé cette beauté pleine de douceur nostalgique. J'ai aimé ce vieil oiseleur posant au milieu de ses cages vides. Il a laissé s'envoler les oiseaux pour que les barbus ne les tuent pas. Parce qu'ils ne respectent rien, même pas la vérité des contes. J'ai aimé ce soldat endormi au pied d'un vieil arbre rabougri, ultime vestige d'anciennes splendeurs.

Tout finit par passer. Ces mots ponctuent les images et les émotions qu'elles suscitent. Tout finit par passer. Vraiment ? Qu'en dirait cette femme assise sur les gradins du Ghazi Stadium. Elle vient là pour être avec l'âme de son amant. Dans ce stade, il a été tué par les turbans noirs. "Dans ce stade, toute la ville venait au spectacle des tête et des mains coupées."

Tout finit par passer. Comme on tournerait une page.

Tout finit par passer. Cela aurait pu être le titre de ce bel ouvrage. Tout finit par passer même le silence où était tombé l'auteur quand il est arrivé en occident car personne ne comprenait sa langue. Il s'est donc réfugié dans les images en devenant entre autre, réalisateur et photographe. Ainsi il mettra en scène son premier roman Terre et cendres avant d'écrire, en français, son superbe Syngué Sabour, la pierre de patience. Par ses mots et ses images, son Afghanistan perdu ressuscite un peu, en filigrane, derrière une triste réalité. Comme Kaboul, "cette ville dont tout le monde parle et dont tu rêves, c'est une ville invisible, c'est une ville dont les désirs sont déjà des souvenirs".
A découvrir.

Dédale

Extrait :

- Mais moi ce n’est pas la beauté que je cherche. Je cherche à faire revivre le sentiment que l’homme éprouve en regardant une cicatrice. Chaque fois que nous regardons une cicatrice nous ne pouvons nous empêcher d’en repenser la douleur.
- S'il s'agit de ta propre cicatrice.
- Justement ce sont mes cicatrices que je cherche à trouver.

[…]

- Après cette nuit où tu as disparu de l'autre côté de la frontière, aux marges du temps, je suis retourné à Kaboul. J'ai installé mon étal à côté des écrivains publics. Juste à cet endroit devant la boulangerie et la papeterie. Je n'ai plus dit de poèmes. D'ailleurs les mots m'avaient quitté. Je les avais perdus à la frontière.
Chaque jour, mes concitoyens venaient faire écrire leur requête, les illettrés comme les autres. Au fond ces requêtes étaient surtout un prétexte pour causer. Chacun avait une confidence, un chagrin, une histoire… Pour l'un c'était d'obtenir justice, pour l'autre le retour d'un fils mobilisé, pour un autre encore le désir de fuir ou la nostalgie d'un proche parti en exil. Chaque requête, chaque lettre, formait un récit de vie des habitants de cette ville, le récit amer de la guerre, le récit amer de l'exil.

Le retour imaginaire
Le retour imaginaire de Atiq Rahimi - Éditions POL - 123 pages
Traduit du persan (Afghanistan) par Sabrina Nouri