Pour le narrateur, ce colis d'outre-tombe est l'occasion de mieux comprendre ce père si distant et taiseux, qui ne s'est jamais confié même au pire de sa maladie. Il faut dire qu'à l'époque déjà, le vernis de la famille idéal était déjà bien craquelé : la sœur du narrateur avait pris son envol pour ne jamais revenir et le narrateur en choisissant la carrière de journaliste avait déçu les espérances du père. Mais pourquoi ces photographies, si longtemps après sa mort ? Que racontent-elles ? En quoi cela a-t-il lien avec sa sœur ? Et pourquoi doit-il les étudier dans un ordre précis ?
Docilement, le narrateur prend donc quelques jours pour observer une à une chacune des photos avant de réaliser que s'il veut en percer le mystère, il doit se rendre à Lyon, la ville d'enfance du paternel, et replonger dans la période trouble de 1944.

L'homme de Lyon raconte donc les liens ambigus qui unissent un père et son fils, le poids du silence sur la structure familiale et les petites histoires qui constituent la grande (Histoire).

C'est l'occasion de découvrir ou redécouvrir la ville de Lyon. Le narrateur pose ses pieds dans les traces de son père, parcourt les mêmes traboules, revient sur les mêmes lieux et tente d'arracher à  la ville les secrets qu'elle a enfoui. Les relations entre le père et le fils sont abordées avec beaucoup de justesse et de retenue. On voit les sentiments du narrateur évoluer au cours de son enquête à l'égard de ce père qui lui a toujours semblé un étranger dans sa propre demeure. En retrouvant l'enfant qu'était son père, le narrateur comprend mieux certaines attitudes, certains regards qui lui paraissaient jusqu'alors inexplicables.

Ce n'est bien sûr ni le premier, ni le dernier roman sur le poids des secrets familiaux, mais celui-ci a le mérite de ne pas tomber dans un pathos larmoyant et de maitriser jusqu'au dernier chapitre le suspense. Car si le narrateur parviendra évidemment à déchiffrer l'énigme, ce ne sera qu'après plusieurs fausses pistes, et la solution est loin d'être celle à laquelle on pensait au début.

(D'autres avis, ailleurs dans la blogosphère : Yv, Stéphie et Kallikrates)

Laurence

Extrait :

« […] Regarde bien ces photos, lis attentivement mes lettres. Prends des notes s'il le faut, tu as toujours fait les choses un peu rapidement. Finis les plats, lève le pied. Tu es trop léger, tu te retournes trop vite. Je te vois grandir tard. "Pour qu'une chose devienne intéressante, il suffit de la regarder longtemps", écrivait Flaubert. Tu vois, que ton vieux père a tout de même quelques lettres.
Aucune image n'est là par hasard et leur ordre n'a rien d'anodin. Pour certaines, j'ai aussi longuement hésité. Longuement… voilà un mot du passé. […] Je pourrais tout te dire d'une seule traite. Tu sais que j'aime les détours, les silences. Tu croirais peut-être qu'il s'agit d'un jeu. Ce serait le jeu des choses impossibles à dire. Il se peut que tu ne trouves rien. Du temps a passé, les traces ont peut-être été effacées. Je prends le risque. Un jour, tu apprendras qu'à un moment, plus rien n'a vraiment d'importance. A toi de jouer. »

L'homme de Lyon
L'homme de Lyon de François-Guillaume Lorrain - Éditions Grasset - 250 pages