Dans un monde revenu à un système médiéval, où la peur est une compagne de route, les hommes survivent tant bien que mal.
Face à eux, des êtres d'acier, des robots, vestiges d'un temps ancien mais qui continuent d'agir selon leur programmation, envers et contre tout. La survie est essentielle, mais bientôt la recherche de réponses sur un passé oblitéré va orienter les choix et l'avenir.
Vincent Gessler nous offre avec Cygnis un premier roman qui se révèle déjà être un coup de maître.
Avec une écriture tout en finesse, mêlant poésie, contemplation et réflexion, il amène son lecteur à s'interroger sur le devenir de son monde et ses propres choix.
La plume de l'auteur se drape du caractère de Syn, le personnage principal. Tour à tour morose, cynique, silencieux, passionné, le lecteur est en pleine immersion dans un monde sans repères, sans demi-teintes, sans concessions. Pourtant, la lecture est facile. Agréable. On voit à travers les yeux de Syn lorsqu'il s'éveille après son hivernage. On suit son périple jusqu'à la ville sur son éperon rocheux, les images se gravent dans la mémoire, les unes après les autres, comme autant de fichiers sur un disque dur. Indélébiles.
Et il y a l'aventure. Celle des hommes. Pour la survie. Pour la vie qui doit continuer coûte que coûte, peu importent les obstacles, qu'ils soient de chair ou d'acier, qu'ils se nomment troglodytes ou Epouvantail. La vie et l'amour, il n'y a que ça de vrai. Et ce roman, et cet auteur, en font un hymne qui sonne si juste aux oreilles qu'on ne peut s'empêcher de vouloir le partager.
En rajouter serait du vice. Cependant, il faut quand même mentionner que pour un premier roman, Vincent Gessler a fait une entrée fracassante dans le monde de la SF française en décrochant deux des plus prestigieux prix du milieu : le Prix Utopiales et le Prix Julia Verlanger. Le public ne s'y est pas trompé, le jury non plus.
Ne reste plus qu'à sauter le pas et à tenter cette incursion futuriste sur la quête de notre passé.
Extrait :
Syn se redresse, l'énorme fusil pendu au creux du coude. En quelques pas, il rejoint Ack dont la tête dodeline à chaque succion : il flatte le col de l'animal, égare ses doigts dans le pelage épars. Le corps du loup est strié de bandes synthétiques entrecroisées sans symétrie, alternant des paquets de poils doux et une surface dure et lisse comme la crosse du fusil. Fermement campé sur ses pattes, il aspire tout ce qu'il peut et remplace son propre liquide dont l'excédent suinte et dégouline par le bas contre la tête du robot. Syn la ramasse et la tient à bout de bras : l'expression des machines ne change jamais. Il s'accroupit, pose le fusil sur les aiguilles de pin bleutées et tire un poignard de l'étui plaqué contre sa cuisse. Il insère la lame dans une fente étroite à la base du crâne. D'un doigt, il effleure une dépression dans le manche et la lame commence à vibrer : l'acier s'enfonce dans la tête métallique comme dans les entrailles chaudes d'un animal. Il décalotte sans peine la base d'un mouvement circulaire puis éteint le couteau. Il plonge une main dans la cavité et retire un petit dé noir et aplati qu'il fourre dans une poche. Ack s'est assis à l'écart et observe en haletant, satisfait et repu, les poils de son menton poissés. Son haleine dérive en brume givrée dans la clarté du matin.
Le feu crépite vers les cieux noirs.
Syn a fini de percer l'épaisse ceinture en cuir. Il passe le gros fil en travers des trous et noue en quelques passes de couture la dernière pièce retirée aux robots dans la matinée. Les flammes mouvantes jouent sur les surfaces brillantes serrées les unes contre les autres. Il reste peu de place.
Quand il était petit, Gib et lui étaient partis en chasse. Après trois jours de marche dans la forêt, ils avaient repéré un solitaire. Le petit Syn avait entendu le bourdonnement pour la première fois et avait vu tomber son premier robot. un coup bien ajusté à la base du crâne qui l'avait décapité dans le fracas d'une détonation. Il avait regardé les vieilles mains de Gib gonflées de travail dégainer le couteau, trancher le métal et retirer la pierre noire. "Leur âme est plus étroite qu'un ongle."
Quatre cents âmes blotties contre sa ceinture.
Les flancs d'Ack se soulèvent et s'abaissent au fil du sommeil ; une oreille remue de temps à autre dans un soubresaut de rêve. La nuit cascade d'étoiles derrière la toile mitée des branches entremêlées. Syn remonte le sac de couchage sur ses épaules et s'allonge devant le feu, le visage contre les pattes du loup. L'hiver est bientôt fini.
La neige va tomber durant tout un mois.
Cygnis de Vincent Gessler - Éditions L'Atalante - 244 pages
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