Dans les bureaux de la Sorbonne, alors que les couloirs se sont vidés du tumulte de la journée depuis longtemps, Reine tente de s'absorber dans la correction de copies de licence. Son travail, c'est toute sa vie, toute sa fierté. Surtout depuis que son mari a pris la poudre d'escampette avec Stacey, une écervelée californienne. Mais ce soir-là, impossible de se concentrer. Reine ne cesse de penser à sa dernière conversation avec la nouvelle poule de son mari. Cette dernière aurait lu un premier roman français absolument fabuleux : Si seulement l'amour de Tristan Chagrin. Avec un titre pareil, Reine se doute qu'il ne s'agit-là que d'un récit pour midinette écrit par un insignifiant plumitif dont personne n'avait entendu parler, sinon quelques lectrices de torchons féminins, noyés qu'il aurait été, comme tant d'autres, dans le bourbier de la rentrée littéraire !
Et pourtant, Reine, spécialiste d'Yves Bonnefoy et Philippe Jaccottet, n'a d'autre obsession que de trouver ce roman et de le lire dans la nuit pour enfin savoir de quoi il en retourne.
Mais trouver au mois de février un premier roman de la rentrée de septembre est loin d'être chose aisée… et Reine va vite s'en rendre compte. Après avoir fait chou blanc dans deux librairies, et au lieu de rentrer tranquillement chez elle pour finir ses corrections, elle imagine des scenarii pour le moins inattendus afin de mettre la main sur l'objet tant convoité. Rapidement, sa quête se transforme en véritable obsession. Stéphane Corvisier nous offre un périple mouvementé dans la nuit parisienne, qui va mettre à mal toutes les certitudes de notre professeur embourgeoisé, reine d'un soir bien malgré elle.
Stéphane Corvisier, dont c'est le premier roman, signe un portait au vitriol plein d'humour : cette quinquagénaire orgueilleuse et pétrie de certitudes va, au fil de rencontres nocturnes et des situations rocambolesques, perdre toute sa superbe. Et plus le vernis social craque, plus elle nous apparaît sympathique : on découvre une femme fragile qui réalise qu'à force de vouloir sauver les apparences, elle est peut-être passée à côté de l'essentiel.
Une gourmandise acide qui se lit avec plaisir.
Laurence
Extrait :
« Ma chère Stacey, il faut que tu te mettes plusieurs choses en tête, et vraiment, il faudrait que ça rentre une bonne fois pour toutes dans ta petite caboche toute emplie de choucroute :
1° - je n'ai rien contre la littérature contemporaine, et je crois même pouvoir dire que j'en connais un peu plus que toi sur le rayon.
2° - je t'emmerde, mais alors, à un point que tu ne peux même pas imaginer.
3° - les dandies-écrivaillons qui s'exhibent sur le PAF et s'y vendent comme de petits gigolos, je n'en ai strictement rien à foutre. »
Mais Reine de se contenir :
- Ah oui ? Et de quoi parle ce roman ?
Et Stacey de se lancer dans des considérations littéraires dont Reine ne retint pas un traître mot, ce qui ne l'empêcha pas de concevoir l'envie de lire ce livre dont elle ne savait rien, mais qui dans son rayonnement éclipsait tous les autres : Si seulement l'amour de Tristan Chagrin.
À moins qu'il ne s'agît de Grégoire Chagrin ?
Ou de Gontran ?
Enfin bref, elle ne savait plus !
Reine de nuit de Stéphane Corvisier - Éditions Grasset - 219 pages
Commentaires
samedi 30 avril 2011 à 08h41
L'extrait est génial !
samedi 30 avril 2011 à 08h58
ton billet donne vraiment envie!
samedi 30 avril 2011 à 11h25
Lili et Sylvaine : l'extrait est vraiment représentatif de l'ambiance du roman.
mardi 7 juin 2011 à 11h26
Mon Professeur de Français
vendredi 10 juin 2011 à 18h57
A Simone : c'est bien que vous vous administriez une telle injonction. En l'occurence, je crains que vous ayez du mal à vous y conformer.
vendredi 10 juin 2011 à 20h27
Tiens, "occurrence" a perdu un "r". Mais comme Simone a été boutée, ça n'a plus aucune importance.
vendredi 10 juin 2011 à 22h54
parfois cela fait du bien de botter...en touche!
lundi 4 juillet 2011 à 07h54
une lecture acide certes,une gourmandise non.l'idée de départ est originale mais malgré des scènes souvent cocasses ce roman ne me laissera pas un souvenir indélébile!
lundi 4 juillet 2011 à 17h41
Sylvaine : je suis d'accord avec toi, ce n'est pas un "grand" roman, mais j'ai passé un agréable moment et je le trouve très bien pour une lecture légère et estivale.
mardi 6 novembre 2012 à 18h47
C'est un vague cousin, tiens.....mais les mots "lecture légère et estivale" c'est pas les mots polis pour dire "roman qu'on oublie dès qu'on l'a refermé ?"