Au VIIe, notre voyageur reçoit un accueil triomphal lors de nombreuses étapes de son parcours. Les rois locaux sont tellement intéressés par ce visiteur exceptionnel que le moine doit souvent insister pour obtenir le droit de continuer son chemin. En route, il doit aussi faire face aux obstacles naturels et réchapper aux brigands.

Quand Mishi Saran entreprend son voyage, elle se heurte aux obstacles que sont les frontières entre états. Le moine, plutôt que passer par le plateau du Tibet et l'Himalaya, était passé par l'Ouest dans des villes situées aujourd'hui au Kirghizistan, en Ouzbékistan, en Afghanistan, au Pakistan, au Cachemire... À l'approche des zones frontalières, elle prendra parfois des risques et en fera prendre à ses accompagnateurs d'un jour. Elle passera vainement quelques jours en août 2001 en Afghanistan alors sous le contrôle des talibans, à quelques semaines seulement du 11 septembre 2001.

On ne sait pas très bien pourquoi l'auteure a voulu entreprendre ce voyage, n'ayant pas de raison a priori de s'intéresser à la théologie bouddhiste et à ce voyageur en particulier. Pourtant, elle prend ce sujet très au sérieux. Partout, elle se renseigne auprès de spécialistes et archéologues qui lui expliquent ce qu'ils croient savoir de l'itinéraire de Xuanzang. Elle part à la recherche des sites bouddhiques que le temps a bien voulu laisser et cherche à retrouver les sensations éprouvées par le moine. À l'alternance entre le récit de son voyage et des extraits de celui rédigé par Xuanzang lui-même (et qu'il avait dicté à un disciple), Mishi Saran ajoute un peu de romanesque en imaginant parfois ce qu'aurait pu éprouver le moine quatorze siècles plus tôt. Cela rend la lecture assez agréable, d'autant plus que les nombreux appels de notes ne renvoient pratiquement que vers des références bibliographiques (qui montrent le soin de l'auteure de préciser la source des détails qu'elle donne du voyage du moine).

Ce récit est aussi l'occasion de se plonger dans l'histoire du sous-continent indien au VIIe et avant. Bien que le moine ait trouvé à l'université bouddhique de Nâlandâ un lieu privilégié où étudier les textes bouddhiques, le bouddhisme indien alors est depuis un moment déjà sur le déclin. Dans ses descriptions méticuleuses des régions traversées (qui ont été précieuses pour les archéologues modernes pour la redécouverte de sites anciens), le moine mentionne souvent la présence de monastères bouddhistes abandonnés. Au cours de la lecture, il est intéressant de se demander parmi les monuments visibles aujourd'hui lesquels existaient déjà au moment du voyage de Xuanzang : grottes d'Ajanta, monuments élevés par l'empereur Aśoka (converti au bouddhisme au IIIe avant l'ère chrétienne), etc.

Le voyage de Mishi Saran se fait largement en dehors des sentiers battus. Même dans les localités touristiques, elle ne semble pas s'intéresser aux monuments autres que ceux ayant un rapport avec le voyage de Xuanzang. Au passage, elle confirme ce que, incrédule, j'avais entendu dire par un ami bouddhiste, à savoir que certains temples hindous anciens étaient à l'origine des édifices bouddhiques. La religion brahmanique ancêtre de l'hindouisme ne laissait en effet pas de vestiges en dur. Que la construction de temples ait été influencée par le bouddhisme n'est pas chose étonnante, mais que des temples aient été recyclés pour une autre religion l'est davantage !

Le récit est intéressant également par ce que l'auteure y a mis d'elle-même : ses doutes, ses moments d'enthousiasme, son sentiment d'être comme chez soi quand la langue locale comporte des similitudes avec le hindi. Le livre ayant d'abord été publié en Inde, du fait des références culturelles parfois implicites qu'il comporte, le lecteur français pourra parfois éprouver quelques difficultés, heureusement pas insurmontables.

Joël

Extrait :

J'ai redescendu l'escalier. En bas, les garçons attendaient mon retour. J'étais décidément l'attraction du jour.
— Directeur ? leur ai-je demandé.
Ils avaient l'air de beaucoup s'amuser.
— Non. Directeur, neuf heures. Stylo ?
Les deux poings sur les hanches, j'ai décidé de faire une dernière tentative.
— Statue Bouddha ?
Les gamins m'ont entraînée vers une estrade plantée au milieu de la cour. Là, par terre, dans le sable et les mauvaises herbes, se trouvait un bouddha assis dont l'emplacement était marqué par une lampe rouillée. Le garçons aux cheveux bouclés s'est penché pour me regarder dessiner un rapide croquis des oreilles allongées, du nez rongé par les ans, de la face plate, presque mongoloïde, de la paume droite orientée vers le ciel reposant dans la main gauche, des jambes croisées, des pieds tournés vers le ciel.
« Non, non, tu t'y prends mal », m'a houspillé un garçons qui s'était hissé sur la pointe des pieds pour regarder mon bloc-notes. Il a passé son bras autour du cou de Bouddha et lui a donné une petite tape amicale. Dans le creux formé par les deux mains de la statue, l'eau accumulée avait pris une coloration orange.
Intriguée par la façon dont Bouddha surgissait dans les endroits les plus inattendus de la ville, j'ai traversé la rue pour entrer dans le temple de Kaccapesvara. Il était encore tôt. J'ai acheté des fleurs d'eucalyptus. Il m'a fallu un moment pour dénicher les statues. L'administrateur ne semblait pas au courant.
« Demandez-lui », m'a-t-il dit en me désignant un vieil homme si desséché que ses genoux étaient plus larges que ses cuisses. Il portait des verres épais et, quand je lui ai demandé où étaient les bouddhas, sans un mot il m'a montré le sanctuaire. À l'intérieur, sur un pilier, sous plusieurs couches de peinture verte écaillée, transparaissait la silhouette d'un premier bouddha en méditation, dans la posture dite dhyani, puis d'un autre. J'ai souri, toute à la satisfaction d'avoir accompli ma mission.

Par delà les montagnes célestes
Par-delà les montagnes célestes, un voyage sur les traces de Zuanzang, le moine pèlerin
de Mishi Saran - Les éditions Noir sur Blanc - 572 pages
Traduit de l'Anglais par Valérie Dariot