Le premier texte est celui du retour douloureux, quand on s'aperçoit que les années ont marqué ceux qui nous sont chers. Que sur la photo de cinq enfants emportée en exil, il en manque un maintenant. La vie laisse ses marques partout.
C'est ce que racontent les vingt quatre nouvelles suivantes. Au Chili, en Allemagne, en voyage, avec des amis ou simplement souvenirs liés à un article de presse ou une lettre reçue. Les textes s'enchaînent sans logique ni chronologie, juste comme on se souvient.

De fait, plus qu'un recueil de nouvelles il s'agit bien ici d'un recueil de témoignages, de souvenirs, d'anecdotes vécues ou vues par Sepulveda durant ses nombreux voyages.
Les situations s'enchaînent sans se ressembler. On passe d'une époque à l'autre, toujours sur un détail ou un sentiment, le tout raconté avec tendresse.

De Nushiño, le chasseur Shuar qui l'a inspiré pour Le Vieux qui lisait des romans d'amour, aux frères Arancibia, en passant par la voix de la speakerine Katia Olevskaïa, tous ces textes résonnent de manière particulière pour le lecteur, car ils sont mêlés des sentiments des années passées. Du souvenir. Et c'est toujours le même leitmotiv qui revient, celui d'écrire pour ne pas oublier. Rendre hommage mais pas que. Faire que ces instants rentrent dans une dimension éternelle, qu'ils deviennent partagés, par-delà le temps et les pages des livres. Et puis il y a ce combat propre à Sepulveda, celui que tous ceux qui ont lu une fois un texte de lui connaissent : celui pour la liberté, pour ne jamais accepter la défaite, même lorsque tout tend à prouver que l'on est vaincu.

C'est un recueil qui rend les yeux humides. Pas parce que c'est triste. Mais parce qu'une fois, un jour, c'est une situation que l'on a vécu qui est décrite et que nos propres souvenirs s'ajoutent à ceux de l'auteur. Parce que la plume de Sepulveda parle directement au cœur, sans passer par des artifices ou de grandes phrases. Bref, tout le contraire de ce billet... Mais c'est que c'est tellement beau et bon qu'il est difficile d'en parler. En fait, le mieux, c'est d'y jeter un oeil. Les deux, même. Et juste d'apprécier ce moment d'intimité.

Du même auteur : La lampe d'Aladino et autres histoires pour vaincre l'oubli, Le vieux qui lisait des romans d'amour, Journal d'un tueur sentimental, Le monde du bout du monde, Dernières nouvelles du Sud, Les roses d'Atacama

Cœur de chene

Extrait :

Autre raison de mon retour au Chili : des visages d'enfants souriants. Quand j'ai vu pour la première fois ce portrait d'un groupe de gamins, j'ai su que je ne pourrais jamais l'oublier. C'était chez Anna Petersen, l'auteur de la photographie. Je venais d'arriver en Allemagne, mon exil ne durait que depuis quatre ans mais ils avaient suffi pour que le Chili devienne pour moi une référence douloureuse et de plus en plus lointaine.
J'ai d'abord été impressionné par la douceur de ces visages puis, après avoir examiné plus attentivement les attitudes, j'ai trouvé le grand secret de ce portrait de groupe : la pureté.
Il y avait chez ces gamins la pureté originelle que nous trouvons sur les milliers de photos prises tous les jours dans les jardins d'enfants ou les écoles européennes. Mais ces gosses ne vivaient pas en Europe. ils vivaient au Chili, à La Victoria, un quartier pauvre de Santiago et l'un des plus touchés par la répression et la misère. Alors j'ai tremblé de peur devant cette pureté et j'ai voulu me demander combien de temps il leur faudrait pour la perdre.
Les années ont passé. L'exil s'est prolongé au-delà des discours triomphalistes jusqu'en février 1990. Pendant toutes ces années j'ai conservé la photo car la pureté de ces enfants représentait tout ce qui me restait du Chili que j'avais connu.

Histoires d'ici et d'ailleurs
Histoires d'ici et d'ailleurs de Luis Sepulveda - Éditions Métailié - 160 pages
Traduit de l’espagnol (Chili) par Bertille Hausberg