Comme le souligne l'auteur dans la préface du recueil, les contres, c'est avant tout une voix qui ressuscite, celle de la mère bien installée pour raconter ou inventer une belle histoire pour s'endormir. Le conte, c'est aussi une histoire de nuit. Pour l'avoir expérimenté avec cette lecture, le conte déploie tous ses enchantements, frayeurs et réflexions quand la nuit est noire derrière les volets.
Dans les contes de M. Djebel, il y a des belles jeunes filles, pas forcément princesses, des princes sur de fringuant chevaux, des marâtres cupides, des envieux, des déserts et pays lointains à parcourir. Comme souvent les contes sont le prétexte à de longs voyages initiatiques plein d'embûches, de tentations (Welja ou l'errance). Il en va ainsi pour une jeune fille au coeur d'or à la recherche de ses sept frères (Wadâa ou l'exil des sept frères), un homme ou une femme à aimer jusqu'à la fin de ses jours (Loundja fille de l'ogresse).
S'il écrit des contes, l'auteur n'en est pas moins un homme de son temps et il aime bien saupoudrer ses textes d'un peu d'humour comme une épice magique ou quelques clins d’œil aux Mille et unes nuits ou à notre cher C. Perrault de notre enfance. On verra que les riches ne sont pas les mieux lotis en qualités humaines, la cupidité peut aussi faire des ravages entre voisins. Et quand on est aidé par un Djinn amoureux d'une fée (Le bûcheron), tout finit par s'arranger.
A découvrir sous la couette à la nuit tombée.
Dédale
Extrait :
- Qui est l'impudent qui trouble ainsi mon sommeil ?
Le bûcheron, paralysée par la surprise et la peur, réussit néanmoins à répondre tant bien que mal au géant qui le surplombait.
- Ce n'est que moi, un pauvre homme, un simple mortel. Je te demande pardon, je ne savais pas…
- Et pourquoi troubles-tu ainsi mon sommeil ? L'interrompit, toujours avec la même voix grondante, le génie qui ne semblait pas disposé à entendre ses excuses.
- Je ne cherchais nullement à troubler votre sommeil mais seulement à couper cet arbre.
Le djinn, qui à une période de sa vie aurait pulvérisé notre bûcheron d'une seule chiquenaude sans préambule ni préavis tant il se laissait facilement emporter par la colère, réussit à se contrôler. L voulait depuis quelques temps, tempérer plus ou moins ses emportement. La jeune fée nouvellement installée dans cette forêt – elle remplaçait une autre beaucoup plus âgée qui s'était retirée dans une forêt lointaine pour vivre paisiblement ses vieux jours – n'était pas étrangère à cette décision. Puisqu'elle lui avait reproché, à son arrivée, son comportement et surtout ses colères légendaires, il s'était promis de chercher par tous les moyens à se modérer pour paraître à ses yeux sous un meilleur jour.
Il n'était pas encore de notoriété publique en ces temps-là que les King-Kong quand ils s'éprennent d'une poupée Barbie peuvent se faire mener par le bout du nez sans grandes difficultés, mais notre génie, lui, était un précurseur. Il trouvait que c'était là une bonne occasion de montrer à la fée qui ne quittait jamais plus ses pensées combien il était maître de lui-même.
Donc, faisant l'effort de calmer sa fureur tout en réfléchissant au meilleur moyen de retrouver sa tranquillité sans usée et mésuser de sa force et de son pouvoir, le djinn s'adressa avec une voix beaucoup moins colérique cette fois-ci au bûcheron.
- Et pourquoi dois-tu couper cet arbre ? Ni lui ni la forêt ne t'ont fait de mal…
Pardon, la surprise et la peur m'ont muselé. J'ai oublié de vous dire que je suis bûcheron. Je travaille pour assurer le pain de mes nombreux enfants. Si je n'abats cet arbres ils n'auront rien à manger. Les plus jeunes doivent déjà m'attendre avec l'espoir de soulager leur faim.
Contes des trois rives de Mourad Djebel - Éditions Babel - 162 pages
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