Annie Ernaux signe une lettre qui restera sans réponse, que son destinataire ne lira même jamais. Car c'est une lettre à une morte, à un membre de sa famille qui aurait dû lui être proche, mais qui est entouré du plus grand mystère. Car les parents n'ont jamais souhaité en parler. N'ont jamais mentionné le nom de cette première enfant. Et c'est en entendant une discussion, à l'âge de dix ans, qu'Annie apprend, contre le gré de ses parents, l'existence de cette sœur.

En plus du mystère, cette dernière est entourée d'une aura globalement positive. Pour sa mère, c'est un ange, une petite sainte partie trop vite. A l'opposé, Annie est pour ses parents une enfant turbulente, loin de cette enfant chérie. Cette opposition inconsciente est une des briques de la fabrication de la personnalité d'Annie Ernaux, qui a vécu dans l'ombre de sa sœur.

Pourtant, l'auteur ne souhaite pas qu'on fasse de cette lettre une analyse psychanalytique. Ce passé douloureux n'est pas la raison pour laquelle elle a produit son œuvre littéraire, mais un événement dans son parcours de femme. Elle profite de cette lettre, qui lui rappelle la Lettre au père de Kafka, pour faire des parallèles avec la vie de sa sœur : la maladie qui l'a emportée, alors qu'elle a survécu au tétanos. Se souvenir des photos, sur lesquelles elle pensait figurer et qui étaient celles de son aînée.

Mais c'est aussi un retour sur la façon dont elle a vécu son existence. Sa découverte tardive du secret, mais surtout les raisons pour lesquelles elle n'en a jamais parlé avec ses parents. Et aujourd'hui, il ne lui reste qu'une tombe rénovée, à proximité de celle de ses parents, et qu'elle fréquente annuellement. Une lettre pour enfin évoquer cette ombre qui l'a suivie tout sa vie, et enfin affronter cette histoire familiale, seule.

Du même auteur : La Place, Les années, Retour à Yvetot

Yohan

Extrait :

Je ne les ai jamais entendus prononcer ton prénom. Je l'ai appris de ma cousine C. Il me semblait vieux, quasi ridicule à l'adolescence. Aucune fille de l'école ne le portait. Encore maintenant, j'éprouve un malaise, une vague répugnance à l'entendre. Je le dis rarement. Comme s'il m'était interdit. Ginette.

L'autre fille
L'autre fille de Annie Ernaux - Éditions NiL - 80 pages