Sans être un roman, ni une biographie de cet auteur qui a influencé tous les écrivains qui comptent au XXe siècle, même au-delà des États-Unis. M. Desbordes aborde la vie des personnages des romans de Faulkner, des personnages aux traits et caractères qu'il aurait trouvé aisément dans sa ville d'Oxford dans l’État du Mississippi où il a passé sa vie. Ces personnages sont souvent les derniers rejetons d'anciennes familles aristocratiques que la guerre de Sécession ou l'alcool et les turpitudes ont appauvris et qui marinent dans un marigot de haine, de rancœur écrasés sous le lourd soleil du Sud.

Un été de glycine est un ouvrage difficile à appréhender si on ne connaît rien des œuvres ni de la vie de l'auteur sudiste. On sera perdu si l'on n'est pas familier de cette écriture exigeante mais somptueuse caractéristique de M. Desbordes.

Ce n'est donc ni un roman, ni une biographie. C'est surtout un magnifique (encore) travail d'écriture. Il vaut à lui seul le plaisir de s'attaquer à ce morceau de littérature. Cette écriture est toute en longues phrases coulant lentement comme un grand fleuve, en répétitions savamment posées, comme on le ferait d'une broderie à petits points. Ces points de luxuriante poésie pleine de mots d'or vont, mais reviennent aussi pour préciser, accentuer une impression, une sensation, tous les thèmes communs aux deux auteurs : l'écoulement du temps, tout ce qui n'est pas dit, parce que cela ne se dit pas ou parce que cela n'a pas de nécessité. On retrouve là le fonds de L'habituée, cette grande maison de silence de M. Desbordes comme il y a de grandes maisons sombres chez W. Faulkner.
Toujours cette écriture qui (s') apprécie d'être lue lentement, posément. L'un comme l'autre non pas leur pareil pour parler de la vie qui n'est jamais celle que l'on avait rêver, du temps qui passe et qui accable. S'il est vrai pour Faulkner que "vivre, c'est se préparer à rester longtemps mort", on en est peut-être pas très loin avec l'auteur de L'emprise.   Ce sont aussi les impressions d'un choc littéraire qu'une lectrice peut avoir en découvrant un auteur inconnu. Aurait-elle eu son choc Faulkner en un temps où elle n'était pas encore Desbordes, avec Mosquito, Absalon ! Absalon ! ou bien Les palmiers sauvages ?

Elle va à l'essentiel de Faulkner, elle nous le rend plus vivant encore avec ses doutes, ses désirs, ses peines. Et en fin de texte, ce sont les malheurs de l'auteure qui affleurent comme pour illustrer combien Faulkner ne pouvait que lui "parler". De ces malheurs, douleurs que l'on a toujours tu, ou ce que seul le silence peut exprimer, ces deux-là savent de quoi ils parlent . "Ce n'était pas le bonheur qu'on vous apprenait, c'était endurer comme il convenait ce qu'il y avait à endurer'

Puis revoilà les enfants jamais nommés, les filles perdues, les vieux nègres fatigués, la vie des Sutpen, les femmes indignent, la résignation face à une vie qui ne sera jamais comme on l'avait rêvée. Tout cela dont on fait des livres, dans la lumière d'août et le parfum des glycines. C'est ce qui nous attache à Faulkner et à Michèle Desbordes.

Une magnifique rencontre entre deux écrivains peu communs. Et pour leurs lecteurs, un magnifique "rendez-vous de beauté, de misère et de peine, ou si l'on veut une sorte de redoutable et douloureux défi."

Du même auteur : La demande, La robe bleue, L'Emprise, L'Habituée

Dédale

Extrait :

Et il avait fallu qu'une voix, unique et comme venant d'outre-tombe, lasse elle aussi et pleine d'une sourde et violente tristesse, racontant tout cela me parlât du temps comme personne jamais ne m'en avait parlé, le temps qui ne pouvait s'arrêter, qui ne s'arrêtait jamais, comme les grands fleuves fous qui emportaient tout sur leur passage, si bien qu'un jour tout était perdu, oui tout était perdu, alors on revenait dans la maison, on revenait dans le livre pour voir où et de quelle manière tout s'était défait, et la voix vous emportait à nouveau, la grande phrase qui allait vers la mer, vers la grande, sévère fin des choses. Ainsi que lui parfois qui avait cette voix et me parlait comme jamais personne encore, et qui bien après que le livre fut publié, reprenant l'histoire y revenait comme à ce que, dans une sorte d'ivresse et d’inépuisable quête, il n'aurait su quitter, rôdant autour de lieux et de créatures dont il ne pouvait se déprendre, mais aussi et surtout peut-être de la voix même qu'il avait fallu pour dire ces choses-là, car dans tout cela n'était-ce pas elle qui comptait, et non pas tant la voix qui racontait l'histoire que celle qui, nourrissant le récit, d'un même et profond ballant s'en nourrissait à son tour, sourde et profonde, et si lointaine. A ce qu'il paraît, emporté par le grand fleuve fou, il n'en finissait pas d'écrire, et rien sans doute ne pouvait faire qu'il en fût autrement, ce comté-là était trop profond, et trop déchirantes et anciennes les blessures qu'on s'y infligeait.

Un été de glycine
Un été de glycine de Michèle Desbordes - Éditions Verdier - 108 pages