En commençant cet ouvrage, j'avais envie d'une bonne enquête bien ficelée. Pour tout dire j'ai été déçue car il faut attendre plus de cent pages pour que l'aspect enquête commence enfin.
Avant, les personnages principaux, en l’occurrence Allmen et Carlors, son fidèle assistant, cuisinier, majordome et Guatémaltèque de son état nous sont présentés en longueur mais pas en profondeur.

Allmen est un riche gosse de riche qui a bourlingué partout dans le monde. Il a un sens profond de l'élégance, de la richesse et des bienfaits que celle-ci peut lui procurer. Rentier né, il veut le rester. Il se refuse à apprendre à faire sans argent, ne souhaite pas travailler ni apprendre à réduire son train de vie.
Son seul souci est de préserver, malgré des déboires financiers – à un moment, il doit comme tout le monde apprendre à compter et gérer ses finances - sa réputation de solvabilité auprès des commerçants et autres connaissances. Tout doit être fait pour que tout le monde croit qu'il est encore riche. Tous les moyens sont bons : jouer sur les crédits, bien gérer ses ardoises, barboter des petites choses chez les antiquaires voire même passer à des larcins plus importants quand l'occasion se présentent et que les créanciers deviennent un peu trop insistants.
Les trois tiers de ce roman sont une présentation pas très profonde de Johann Friedrich von Allmen et de Carlos quasi muet sauf quand il répond à son maître par onomatopées.

Puis vient péniblement l'enquête censée lancer une série, qui tient sur une soixantaine de pages. Légère, légère cette enquête. Il s'agit pour Allmen de résoudre le mystère planant autour de cinq coupes en verre ornées de libellules et signée Émile Gallé.
Voilà donc l'intrigue légère que développe Martin Suter en un rythme des plus lents. Un rythme tout à fait suisse. Par moment, j'ai trouvé bien des points communs entre Allmen et Adrien Weynfeldt, expert en art et dernier descendant d'une richissime famille dans Le dernier des Weynfeldt.

Si cette histoire se veut légère, fantaisiste, facile à lire, le pari de M. Suter est gagné. Pour ma part, j'aurai aimé des dialogues plus copieux dans le fond, ne pas avoir à chercher l'humour annoncé. À côté des aventures de notre Arsène Lupin, Allmen fait pour le moins pâle figure.
L'éditeur annonce déjà la parution à venir de deux autres aventures de ces deux compères, espérons qu'elles auront pris d'ici la un peu plus de consistance. Je suis pas certaine d'être au rendez-vous pour constater ou non la chose.

Du même auteur : Small World, Un ami parfait, Business Class, Le cuisinier

Dédale

Extrait :

Allmen était un toxicomane de la lecture. Cela avait commencé dès ses premiers pas dans le livre. Il avait rapidement constaté que lire était la manière la plus simple, la plus efficace et la plus belle d'échapper à son environnement. Son père, qu'il n'avait jamais vu un livre à la main, avait un grand respect pour la passion de son fils. Il admettait toujours la lecture comme excuse pour les nombreuses fois où son filius manquait à ses obligations. Et sa mère, cette femme douce, toujours souffreteuse et morte de bonne heure, dont Allmen n'avait gardé que de vagues souvenirs, acceptait toutes les excuses que son mari acceptait.
Aujourd'hui encore, Allmen lisait tout ce qui lui passait entre les mains. Littérature du monde, classiques, nouveautés, biographie, récits de voyage, prospectus, modes d'emploi. C'était un client habituel de plusieurs bouquinistes et il lui était déjà arrivé de demander à un taxi de s'arrêter devant un immeuble le jour où l'on ramassait les encombrants, pour en revenir avec quelques livres.
Une fois qu'il en avait commencé un, aussi mauvais fût-il, Allmen ne pouvait s'empêcher d'aller jusqu'au bout. Il ne le faisait pas par respect envers l'auteur, mais par curiosité. Il croyait que chaque livre avait son secret, ne fût-ce que la réponse à la question de savoir pourquoi il avait été écrit. Et c'est ce secret qu'il devait éventer. Pour être précis, Allmen n'avait donc pas d'addiction à la lecture – c'était un toxicomane du secret.

Allmen et les libellules
Allmen et les libellules de Martin Suter - Éditions Christian Bourgois - 166 pages
Traduit de l'allemand par Olivier Mannoni