Pour le coup, je vous sers la présentation de la 4ème de couverture parce que je vois pas comment débuter mon billet.
En ce 15 août 1953. la fête de l'Assomption bat son plein à Elephant Park, un quartier de Cleveland, dans l'Ohio. Le boulanger Rocco LaGrassa y vit seul depuis le départ de sa femme et de ses trois enfants. Il vient de recevoir un courrier lui apprenant la mort d'un de ses fils dans un camp de prisonniers en Corée du Nord. Bouleversant ses habitudes, il décide de fermer sa boutique afin de se rendre dans le New Jersey pour réunir sa famille. Dans son sillage apparaît une série de personnages croisés dans cette foule de carnaval, parmi lesquels Mme Marini, faiseuse d'anges vieillissante, Lina, étrange couturière, Ciccio, son fils... Plongeant dans leurs consciences et leurs histoires à travers plusieurs décennies. La Fin dépeint un microcosme habité par ces figures singulières, issues de l'immigration, en quête de leur identité véritable.
Rétrospectivement, je me demande ce qui a pu attirer mon attention sur cet ouvrage. Bien évidemment, le détail d'une toile d'Edward Hopper, Sunday, y est un peu pour quelque chose comme le sort du boulanger Rocco, émigré italien. Oui, mais voilà, la pâte sortie des mains de Salvatore Scibona, si travaillée soit elle, à l'intention originelle si prometteuse, n'a pas levé, une fois déposée entre les miennes. Je suis restée définitivement en dehors de cette histoire un peu trop nébuleuse pour moi. J'ai eu beau m'accrocher, le courage m'a manqué pour terminer la centaine de pages avant la fin.
Ce premier roman se veut un portrait de cette Amérique, terre de tous les possibles pour les différents émigrés ayant tout quitté en leurs terres natales pour vivre une vie meilleure, souvent fruit de longues journées de labeur, de sacrifices importants. Certes, pris un à un, les différents personnages : Rocco, Costanza Marini vieille faiseuse d'anges, Ciccio orphelin détestant sa mère l'ayant abandonné… sont intéressants.
Ce qui m'a réellement gêné c'est la façon de mélanger ces différents portraits. Le procédé choisi par S. Scibona n'est pas nouveau. Bien des auteurs ont étudié leurs personnages à la loupe, leurs pensées, leur conscience, à l'aune d'une seule journée. Mais bon, tout le monde n'est pas James Joyce ni Virginia Woolf. Il faut bien le reconnaître.
Ici, La fin est à mon sens trop brouillon, les idées passant souvent du coq à l'âne – même on sait que c'est parfois le propre des pensées d'aller ainsi. Tout cela est rendu difficile à suivre en raison de ce mélange presque informe. Malheur au lecteur qui perd le fil des réflexions des personnages ! De plus, pour peu que l'on ne soit pas trop porté non plus sur la peur de Dieu, la piété dans ses nombreuses manifestations, sur les discussions philosophico-religieuses sur Aristote, Platon, Saint Thomas d'Aquin, il y a de quoi être totalement perdu et d'être pris d'une furieuse envie de passer à autre chose.
Pour en terminer avec ce billet désenchanté, je vais reprendre une phrase de Ciccio alors qu'il lit Saint Thomas d'Aquin et à qui son professeur demande ce qu'il en a retenu.
Je vais vous dire la vérité : je comprends juste assez pour que cela m'échappe.
Dédale
Extrait :
Durant les treize années qui suivirent le décès de son mari, Constanza Marini vécut seule. Elle avait maintenant soixante-huit ans. La mort l'appelait. Et c'était vraiment dommage, car après avoir connu une jeunesse angoissée, un maturité déçue puis un âge mûr désespéré, elle venait de faire l'expérience d'un changement saisissant : au cours de ce qu'elle pensait être les dernières années de sa vie, elle se retrouva en possession de pouvoirs qu'elle avait depuis longtemps renoncé à acquérir. C'était une manne tombée du ciel. Elle était enfin heureuse - non, exubérante. Pendant son sommeil, un orage avait fait tomber tous les fruits des arbres.
Rétrospectivement, le succès de ce changement avait dépendu de l'échec de Constanza à le remarquer avant qu'il ne fût achevé. La conscience avait ruiné ses tentatives d'amélioration passées avec une telle régularité qu'elle ne prenait même plus la peine de lui adresser le moindre reproche. C'était plus fort qu'elle. La chirurgie exige que le chirurgien soit éveillé et le patient endormi à l'éther ; mais pour opérer son propre esprit, elle se réveillait seulement à demi et aggravait son cas. Toute amélioration, elle s'en était lentement convaincue, était impossible. Le fatalisme devint la vérité. Tels étaient les fondements d'une religion à laquelle elle avait la ferme intention de demeurer fidèle. Mais cette religion avait un défaut qui devait causer sa perte.
C'était tellement général qu'elle dut faire appel à tous ses talents d'observation pour définir le phénomène : son pudding n'épaississait pas – pourquoi ? Parce que le destin immuable de ce pudding était de rester liquide. Ainsi, en définitive, à quoi bon observer ? À quoi bon rester consciente ? Pourquoi ne pas dormir ? Et enfin elle dormit, absolument convaincue de son malheur, ne trouvant aucun élément nouveau pour le démentir, envisageant sa propre disparition avec une peur et un intérêt croissants. Pour le changement qui s'ensuivit et modifia tant de choses, il faut au moins accorder quelque crédit à Costanza. Même si elle avait dormi, ça oui, et n'avait rien fait par elle-même, elle avait néanmoins eu l'absence d'esprit de rester endormie et de ne pas s'emballer avant que la force agissant sur elle n'eût terminé son œuvre. Elle ressemblait à saint Pierre marchant sur les eaux, sauf que la morale de l'histoire était inversée. Elle pouvait le faire tant qu'elle s'en croyait incapable et qu'elle avait peur.
La fin de Salvatore Scibona - Éditions Christian Bourgois - 436 pages
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Brice Mathieussent
Commentaires
mercredi 29 juin 2011 à 21h15
Bon, eh bien on ne mettra pas "la fin" de Scibona dans la valise de cet été. A la place je choisirai plutôt un Siri Husvedt, "Un été sans les hommes" par exemple ...