Robert a l'habitude de prendre des auto-stoppeurs. Il aime bien écouter leurs confidences, les raisons qui les ont poussés à prendre la route. Pourtant avec Danny, la conversation semble difficile dès le départ. Danny se tait, trop occupé à ressasser les souvenirs récents. Il aimerait oublier la belle Ragna, métisse asiatique au service de son imprésario. Alors, puisque Danny se tait, Robert rempli l'habitacle de sa propre conversation. Il monologue et explique pourquoi il aime tant les courses de Pampelune ; cet instant où le temps s'arrête quand les taureaux foncent vers vous. Chaque année, il laisse femmes et enfants pour accomplir ce rituel, cette pénitence.

Le récit, divisé en 5 actes comme une tragédie, ménage le suspense à chaque page. Il y a d'abord cette première scène absolument fascinante : un long travelling de trois pages d'un homme qui court à perdre le souffle ; cette pluie qui s'abat sur la ville ; ces souvenirs qui commencent à resurgir. Le lecteur est immédiatement ferré : qui est cet homme ? Que fuit-il ? Où va-t-il ? Puis le récit se poursuit par un huis clos oppressant et suffocant : deux hommes que tout oppose, enfermés dans une voiture pendant plus de deux jours. Finalement, plus que l'arrivée à Pampelune, c'est ce voyage étrange qui demeure le plus captivant. On découvre, au fil des souvenirs de Danny, ce qui a précédé cette fuite. Là encore, Jan Van Mersbergen a l'art de nous tenir en haleine et démontre sa maîtrise de l'intrigue.

Et puis nos deux hommes finissent par arriver à destination et le dénouement peut enfin survenir. À moins que l'auteur ne nous réserve encore quelques surprises…

J'ai pris un très grand plaisir à accompagner ces deux hommes dans leur périple. Je pensais initialement déambuler dans les rues de Pampelune et passer la plus grande partie du voyage dans cette ville espagnole. Or plus que la destination, c'est le chemin pour y arriver qui est ici important et intéressant. Ce face à face entre les deux hommes permet à l'auteur de nous interroger sur nos motivations, nos faux-semblant et notre rapport à la violence,à la vie et à la mort. Un très beau récit, puissant et captivant.

Laurence

Extrait :

L'autoroute est large, trois voies et une bande d'arrêt d'urgence. Ils roulent sur la voie du milieu et y restent un moment. De temps à autre, le conducteur jette un coup d'œil de son côté.
Je prends souvent des auto-stoppeurs.
Danny reste muet.
Il y en a plus beaucoup qui le font, mais moi si. Un toussotement. Par curiosité. Pour ce qu'ils ont à raconter.
Danny regarde le conducteur. Qui ajoute : Peu importe le temps qu'ils passent dans ma voiture, ils ont toujours quelque chose à me raconter. À propos de leur travail. De leur famille, de leurs amours, leurs animaux de compagnie. De tout et de rien. De ce qui leur arrive. Et souvent, c'est pas joli, joli. À écouter, je veux dire.
Peut-être que moi, je raconterai rien.
L'homme cligne des yeux et sourit.

Demain, à Pampelune
Demain, à Pampelune de Jan Van Mersbergen - Éditions Gallimard (collection Du Monde Entier) - 206 pages
Traduit du néerlandais par Anne-Lucie Voorhoeve