Léandre se définit lui même comme un misanthrope. Il n'aime personne et tout le monde le lui rend bien. De son fils à l'infirmière très belle mais un peu sotte, aucun ne semble trouver grâce à ses yeux. Pas même lui. Car Léandre a cette cohérence de se malmener autant qu'il malmène les autres. Or n'est pas misanthrope qui veut : la misanthropie est un effort des tous les jours, l'œuvre de toute une vie, que les lâches, comme son fils, ne pourront jamais atteindre. Et ce n'est pas en bout de parcours, à la veille de son dernier souffle, que Léandre va tout bousiller par des relents de compassions gluants. Non, Léandre répand son mépris pour l'Autre jusqu'à la lie, jusqu'à l'agonie.
Qu'il est bon parfois d'avoir de l'aversion pour des personnages de fiction. On le déteste pour ses propos abjects sur les étrangers, les femmes et les enfants. Léandre est dans la provocation outrancière mais après tout pourquoi se censurer quand on sait que la faucheuse rôde aux pieds du lit ? À quoi servirait ce dernier soubresaut de bienséance ? Pour faire plaisir à qui ? Alors Léandre se défoule et s'en donne à cœur joie. Tout y passe : ses anciens étudiants, ses conquêtes et son crétin de fils qu'il a surnommé dans un accès de bonté "le pourceau".
Mais si on déteste Léandre c'est aussi et surtout pour l'image qu'il renvoie : ce corps qui se délite malgré nous et nous rend dépendants des autres. Ces autres que l'on haïra car sans eux, nous serions réduits à l'état de pourceaux, incapables de subvenir à nos propres besoins. Car au-delà la provocation du misanthrope, il y a dans ce court récit, un état des lieux effrayant de la déchéance des corps vieillissants alors même que l'esprit continue d'être vert et vaillant. Ce corps répugnant devenu notre pire geôlier.
Et si on aime cette détestation, c'est que Léandre en tenant des propos aussi féroces, nous rassure sur notre propre situation. Quelque soit notre degré de misanthropie (et nous sommes avons tous un peu d'Alceste en nous), nous ne pouvons égaler ce vieux con. Moyennant quoi, nous nous trouvons finalement plutôt aimables…
Paradoxe supplémentaire, ce roman sur la mort et la déchéance ne sombre jamais dans le pathos. Bien au contraire, Marc Villemain offre à l'ensemble une légèreté insolente et jouissive, un humour noir délicieux. En alternant les registres, en passant de la gouaille à une langue riche et classique (amis du subjonctif, soyez les bienvenus), l'auteur permet au lecteur de rire sans complexe des horreurs prononcées par le narrateur.
Alors bien sûr d'aucuns trouveront le style peut-être trop ampoulé et les clichés trop marqués. Mais cette exagération, cette outrance sont pour moi tellement indissociables du personnage que je vois mal comment il en aurait pu être autrement. Oui, on déteste Léandre mais qu'il est bon parfois de se laisser aller à ce plaisir coupable mais jouissif, de haïr l'Autres, le temps d'un récit.
Laurence
Extrait :
Il faut toutefois se bien faire comprendre, quitte à se répéter: le misanthrope conséquent ne connaît de détestation qu'envers-lui même. Ce qu'il noircit chez les autres humanoïdes n'est guère constitué que des restes d'une bombance inachevée, ultimes éclats d'une colère dont il est en vérité l'unique géniteur et seul récipiendaire. Et je ne parle pas ici de la pauvre haine de soi dont s'accablent tant de nos bonnes âmes socialistes ou libérales. Non, je parle d'une détestation radicale, celle qui nous accule à pleurer dans fin sur la monumentale erreur d'aiguillage qui, un jour, fit sortir du sol ce que l'on peine à désigner sans rire parle substantif : humain.
Le pourceau, le diable et la putain de Marc Villemain - Éditions Quidam Éditeur - 95 pages
Commentaires
vendredi 8 juillet 2011 à 08h38
J'ai entendu parler de ce livre à la radio, les critiques étaient assez partagés. Il doit être assez réjouissant de détester un type comme ça, les contre portraits de ce genre me plaisent assez.
vendredi 8 juillet 2011 à 09h01
Ys : j'ai également entendu une émission sur France Culture. Mais la journaliste qui n'avait pas aimé en expliquait la raison par "un trop de mots et de subjonctif". Ce qui comme argumentaire de "critique littéraire" m'a laissée plutôt perplexe...
vendredi 8 juillet 2011 à 22h15
On écoute les mêmes émissions
mardi 12 juillet 2011 à 11h05
effectivement nous écoutons les mêmes émissions ; l'auteur est-il localisé en ile de France? Merci.
mardi 12 juillet 2011 à 13h48
Oui, il me semble bien que l'auteur est francilien.
samedi 16 juillet 2011 à 17h52
Ah que j'aime le titre de ce roman ! Je crois que je vais me laisser tenter, malgré les critiques mitigées