Charles et Lucile vivent ensemble depuis deux ans. « Si on pouvait appeler vivre ensemble le fait d'habiter le même appartement, de voir les mêmes gens et de partager le même lit. »

Charles est un homme de 50 ans, beaux traits un peu mous. Il a des affaires immobilières, beaucoup d'argent. Il aime Lucile à sa façon, très respectueux de sa nature profonde.
Lucile, elle, ne travaille pas grâce à l'argent de Charles. Elle aime le luxe, la vitesse, conduire vite dans de jolies voitures, faire l'amour et boire. Elle ne veut vivre sa vie qu'au rythme de ses plaisirs, de ses envies, si heureuse d'exister ainsi ne s'attachant à rien ni à personne.

Ils se partagent entre différentes mondanités : les dîners chez Claire Santier dont Charles est un des piliers, ou bien chez Diane tout aussi riche et bien en vue que Claire. Lucile est insaisissable, gaie, polie souvent drôle mais refuse obstinément de parler d'elle, de Charles, de ses projets. Cela en fait un être à part au milieu des convives, dans ce « monde où tout le monde avait beaucoup d'imagination pour se tirer d'un mauvais pas, pour dissimuler, nourrir, entretenir ses petits secrets. »

Et puis un soir, Lucile rencontre Antoine, le bel amant de Diane, directeur d'une collection dans une maison d'édition. Si la jeune femme aime Charles, elle va connaître la passion avec Antoine. Sa vie va d'un coup changer, devenir plus intense jusqu'à un jour découvrir ce que c'est que de souffrir par amour. La passion donc celle qui vous brûle tout entière, ce manque qui vous torture si intensément quand l'autre est loin.
Tout pourrait aller pour le mieux, car elle est aimé d'Antoine, sait aussi que Charles l'attend toujours quoi qu'il arrive. « Vous me reviendrez. Je n'ai qu'à attendre ».
Mais voilà qu'Antoine lui demande de changer de vie, de travailler, de choisir entre Charles et lui. Il souhaite vivre avec elle une vie de couple traditionnel.
Devant cet ultimatum, Lucile doit prendre une décision.

Dans ce roman loin des romans à l'eau de rose, on retrouve les thèmes privilégiés de l'auteur. La vie mondaine et riche de Paris dans les années 60, ses us et coutumes. De plus, F. Sagan sait parfaitement rendre lucidité les affres de l'amour, les sentiments contradictoires, la complicité entre amants et également son amour qu'elle a de Paris : les lumières des réverbères, les ciels roses et les marronniers, l'aube de printemps, les odeurs annonçant l'été en ville.
C'est beau, parfaitement bien écrit, de cette écriture sobre et soignée, cette écriture blanche mais très expressive si caractéristique de l'auteur. C'est intelligent et pertinent, légèrement acerbe dans cette vue de ce monde d'oisifs accrochés aux bras de riches, de ces gens qui n'ont point trop de soucis pour leurs fins de mois.

Bref, c'est du Sagan d'excellente qualité. Comme toujours.

Du même auteur : Toxique, Des bleus à l'âme. Un matin pour la vie et autres musiques de scènes.

Dédale

Extrait :

Antoine se savait nonchalant, sensuel mais moral. Il n'avait sans doute jamais eu autant de goût pour une femme que pour Lucile, mais il avait eu de nombreuses passions et il avait, par remords, transformé sa liaison, somme toute insignifiante, avec Sarah en une tragique histoire d'amour. Il se savait facilement la proie de conflits intérieurs. En fait, il était presque aussi doué pour le malheur que pour le bonheur et Lucile ne pouvait que le déconcerter. Il ne comprenait pas qu'elle n'avait aimé qu'une fois, dix ans auparavant, qu'elle l'avait oublié et qu'elle considérait leur passion comme un merveilleux cadeau, imprévisible, inespéré, fragile, dont elle ne voulait pas, presque par superstition, prévoir la suite. Elle aimait l'attendre, elle aimait qu'il lui manquât, elle aimait se cacher, comme elle eût aimé vivre avec lui au plein jour. Chaque instant de bonheur se suffisait à lui-même. Et si, depuis deux mois, elle se surprenait à s'attendrir sur d'ineptes chansons d'amour, elle ne se sentait aucunement concernée par les sentiments « d'exclusivité ou d'éternité » qui en faisaient généralement le thème. Car sa seule morale étant de ne pas se mentir, elle se trouvait forcément entraînée à un cynisme involontaire mais profond. Comme si le fait de pouvoir trier ses sentiments conduisait automatiquement à ce cynisme alors que les tricheurs, les mythomanes peuvent rester toute leur vie d'un romantisme échevelé. Elle aimait Antoine mais elle tenait à Charles, Antoine faisait son bonheur et elle ne faisait pas le malheur de Charles. Estimant les deux, elle ne s'intéressait pas suffisamment à elle-même pour se mépriser de se partager. Son absence complète de suffisance la rendait féroce, bref, elle était heureuse.

La chamade
La chamade de Françoise Sagan - Editions Pocket - 163 pages