Pour certains, ce texte, qui n'est pas une biographie, mais une douce confidence pourra paraître comme difficile à appréhender au départ en raison d'un jeu complexe de "on", de "nous", de "ils", des pronoms que l'on a du mal à circonvenir. Puis peu à peu le lecteur saura de qui l'auteur parle, de ses parents ou d'elle enfant.

Texte d'une poésie magnifique, l'auteur nous offre le portrait plein de nostalgie, de douce mélancolie d'une petite fille qu'elle cherche à retrouver. C'est une enfant qui cherche à comprendre les grands, leurs silences, leurs joies, leurs peines ou souffrances, les sentiments forts souvent tus. En descriptions feutrées, à demi-mots, M. Desbordes parle comme en confidence poignante, doucement, de l'enfance, de la relation avec les adultes : le père sublimé et ses belles voitures, la mère si féminine mais si difficile à aimer, ou ses aïeules, de ces femmes fortes, marquées par la vie, par des pertes d'enfants, les liens entre l'histoire de la famille et la vie en temps de guerre, du temps qui coule toujours comme le fleuve Loire toujours présent.

La Loire fleuve faussement tranquille, puissant et sa lumière si particulière qui apaise apparaissent comme des respirations, des pauses dans ce récit d'enfance. « Dans la lumière qui vient, l'étrange, étonnante paix des choses. »
On marche sur les berges sablonneuses, on observe le vol des oiseaux, avant de revenir à l'intérieur de soi, à ces êtres aimés, à ces bonheurs immenses – cette marche dans la nuit juchée sur les épaules du père - comme aux désastres incommensurables.
Michèle Desbordes a vraiment le talent de mettre en mots, en sentiments tout l'indicible, le prégnant. Avec L'emprise, elle offre là une splendeur. Encore une fois.

A lire absolument. A relire encore et toujours.

Du même auteur : La demande, La robe bleue, L'habituée, Un été de glycine.

Dédale

Extrait :

Quand le panier est rempli, elle se relève et va et vient dans les allées du jardin, d'une torsion du poignet cueille une salade, des herbes pour la soupe. Grand-mère parmi les phlox et les œillets d'Inde, plus loin les grandes marguerites. C'est à peine si elle vous parle, si elle vous regarde. Mais vous la sentez là tout près, aussi près qu'elle peut l'être. Au-dedans, là où rien ne peut se voir, elle vous sourit, sûrement elle sourit, et sait ce qu'il y a à savoir. Cela rassure de penser qu'elle comprend. Qu'à vrai dire elle a toujours compris. C'est de cet ordre-là, de ce qui ne vous vient pas avec les mots mais d'ailleurs, de ces contrées intimes, invisitées, et que l'on sait pareillement, si ce n'est davantage. Qu'elle vous accorde, mine de rien, une part d'elle, celle-là même qui parmi les duretés, les rudesses parvient à comprendre, à aimer sans doute. Cette chose très secrète qui ayant à voir avec le coeur et tout ce qui, parmi le pourpre et l'humide, le fragile qu'il y a là, se meut et doucement palpite, prêt à souffrir, prêt à exulter, et d'un coup, à force d'émotion, pourrait éclater et s'épandre dans tout le corps, vous précipitant dans une grande, âpre et dernière tourmente, où vous n'auriez pas même à vous demander qui vous aime et ne vous aime plus, ni ce qui de la vie ou de la mort pour l'heure vous retient davantage.
Elle remonte le sentier et ferme la porte du jardin. Elle s'installe sur la vieille pierre devant la maison, et elle épluche les haricots à même la blouse, le vieux coton fleuri, elle partage le tas en deux, la moitié pour grand-père et elle, l'autre pour sa fille, la mère de l'enfant, quand elle viendra.
Le soir elle s'assied devant le fourneau, au coin de la table. Elle croise les mains, les frotte l'une contre l'autre comme pour en chasser d'invisibles douleurs. Elle ne dit rien, elle regarde devant elle où est l'image, et parfois, très brièvement avant qu'elle ne le détourne, son regard croise-t-il le vôtre. Il le croise. Cela arrive.

L'emprise
L'emprise de Michèle Desbordes - Éditions Verdier - 183 pages