L'agent Pierce est l'un des agents de la Stase, un patrouilleur temporel qui excelle dans ce qu'il fait.
Promis à un avenir brillant, sa vie bascule lorsqu'en faisant des recherches il s'aperçoit que l'époque où il vivait a été "effacée", ou du moins réécrite par une nouvelle version de l'histoire.
Ce que les agents de la Stase appellent un "Palimpseste" et qui arrive couramment suite aux interventions desdits agents.
Dès lors, Pierce n'a plus qu'une solution : se rendre à l'Ultime Bibliothèque, une zone qui se situe à la Fin des Temps, et trouver dans les archives conservées la faille indiquant ce qu'il a pu se produire pour ensuite retourner dans le passé et rectifier son présent.
Encore faut-il arriver à trouver la bonne version de l'Histoire dans l'infini des possibles que conserve la Bibliothèque.

Palimpseste est un court roman de Science-Fiction qui se révèle finalement plutôt dense.
Avec une virtuosité et une imagination incroyable, l'auteur nous entraîne dans les différents âges du monde, nous fait découvrir le plan ambitieux de la Stase : perpétuer la vie et ce malgré les cataclysmes, les drames écologiques, guerres nucléaires ou autre dont peut être affligée l'humanité. Les années défilent à coup de dizaine de milliers et le lecteur est pris de vertige tant les proportions impliquées sont hors normes. Il est rare d'évoquer le passé ou le futur en terme de millions d'années...

Un autre élément plutôt perturbant pour le lecteur néophyte tient à l'emploi du voyage dans le temps. Ce qui implique forcément la notion de paradoxe temporel et c'est là tout le nœud du roman, puisque de ce paradoxe naît l'idée du Palimpseste historique : le moindre changement (et l'apparition d'un voyageur temporel n'est pas la moindre) dans une époque peut provoquer des conséquences désastreuses par la suite et totalement réécrire l'histoire. Les puristes riront certainement du parallèle, mais que ceux qui doutent de cette vérité revoient la série des Retour vers le Futur... Du coup, il devient parfois difficile de suivre l'auteur car là encore les changements s'opèrent sur des périodes énormes que le commun des mortels n'est pas habitué à manipuler (votre serviteur le premier) ou donne des phrases un peu biscornues qui impliquent une certaine gymnastique intellectuelle et nécessitent une bonne concentration.
Par exemple, cette phrase qui m'a arrêté quelques minutes pour la savourer car je la trouve somptueuse : Le lendemain du jour où il s'assassina de sang-froid, l'agent Pierce reçut un message urgent : un inspecteur le convoquait à la fin du dix-neuvième siècle. Charmant, n'est-ce pas ?
Donc, difficile de lire ce roman dans les transports en commun ou de le butiner comme d'autres romans moins complexes.

Malgré tout, l'écriture est agréable. La plume de Charles Stross s'apprécie et c'est avec un plaisir non dissimulé que l'on assiste à la naissance de l'univers, au passage des civilisations et à la transformation de notre galaxie (cf l'extrait ci-dessous). En fait, ne serait-ce quelques difficultés d'échelle qui rebuteront certainement les allergiques du genre et risquent de ralentir la lecture des moins habitués, le roman se lit plutôt bien et assez rapidement. Les ennuis de l'agent Pierce nous touchent directement et s'intègrent parfaitement dans la structure du récit mêlant de manière très habile l'histoire de l'univers, les directives de la Stase et les différentes époques où interviennent les agents.

Il s'agit d'un roman qui peut rebuter et semble réservé aux seuls lecteurs du genre. Mais comme pour toute littérature de l'imaginaire, un peu de concentration et un léger effort de volonté peuvent venir à bout des plus gros obstacles pour apprécier pleinement la plume d'un auteur anglais de qualité dont la notoriété n'est déjà plus à faire.

Cœur de chene

Extrait :

Mais la Terre est en sécurité. La terre est sereine. La Terre n'est plus dans la ligne de mire.
La Longue Combustion est de loin le programme le plus ambitieux de la Stase. Les Empires Scientifiques vont croître et prospérer, puis décliner et s'éteindre, mais ils auront fourni la matière première numérique dont les Navigateurs ont besoin. La tâche délicate consistant à éjecter un système stellaire de sa galaxie sans faire dévier les lunes et les planètes de leurs orbites est monstrueusement difficile. Les planètes ne sont pas reliées physiquement à leurs étoiles et la gravitation est faible. Il faudra apporter d'innombrables ajustements aux orbites de toutes celles qu'on voudra entraîner. Le débit massique de Cérès ne peut suffire à lui seul. Mercure la rocailleuse a déjà été démantelée pour alimenter les mécanismes de contrôle qui assurent une combustion régulière du disque d'accrétion de l'étoile morte, et c'est maintenant au tour de Vénus de pourvoir à l'approvisionnement des innombrables remorques de matière se déplaçant à l'énergie lumineuse. Une naine brune dix fois plus grande que Jupiter va allumer la "fusée", un embryon stellaire injecté dans la gueule ardente en un million d'années.
La vitesse de libération de l'attraction galactique est élevée ; la vitesse de libération de l'attraction du groupe local le sera plus encore. La Longue Combustion va durer dix mille siècles. Tous les ans, l'étoile morte va accélérer d'un mètre par seconde. Et quand la Combustion arrivera à son terme, un système solaire radicalement reconfiguré s'éloignera du groupe local de galaxies à presque un millième de la vitesse de la lumière, direction le Vide du Bouvier.

Palimpseste
Palimpseste de Charles Stross - Éditions J'ai lu - 158 pages
Traduit de l'anglais par Florence Dolisi