1880, Panam.
Enfin, presque Panam. Ce Panam où Elfes, Nains et Humains se croisent dans les rues tout en s'ignorant poliment.
Un Panam réinventé dans lequel il est dangereux de se mêler de ce qui ne nous regarde pas. Manque de pot, l'enquêteur Sylvo Sylvain et son fidèle ami Pixel pratiquent régulièrement le fait de "se trouver au mauvais endroit au mauvais moment". Pratique qu'ils ont d'ailleurs élevé au rang d'art.
Du coup, voilà notre Sylvo embringué dans une histoire qui le dépasse et qui recèle bien des dangers.
A lui de s'en sortir. Vivant, si possible.

Prenez un nouvel auteur, totalement inconnu mais avec une imagination débordante et une plume agréable.
Laissez-le jouer avec l'histoire et mettre tous les jeux de mots qu'il veut. Accordez-lui un bestiaire illimité et un soupçon de cynisme.
Faites mijoter l'enquête de l'Elfe à feu doux et laissez reposer quelques jours.
Vous avez un nouveau roman bourré de plein de trucs sympas, avec des personnages hauts en couleurs, un Elfe cynique et désabusé, un nain volage, de l'alchimie, des méchants, un complot gouvernemental et un Pilliwiggin.
Il ne reste plus qu'à servir frais pour l'été et à savourer le tout accompagné d'un verre d'hydromel ou d'un Moretum.

Rue Farfadet est un premier roman prometteur. L'univers est posé et riche. Dès le départ on suit les personnages totalement crédibles et on se trouve emporté dans une aventure complètement déjantée.
Il faut déplorer quelques petites faiblesses et un scénario plutôt linéaire, mais même un lecteur averti y trouvera son compte et savourera un roman léger comme une bouffée d'air pur entre deux lectures beaucoup plus conséquentes.
Pensé et écrit comme un roman du XIXème s., l'idée du "roman fleuve" en moins, l'accent a été mis sur l'emballage. La couverture signée Aurélien Police attire immanquablement l'œil et entraîne déjà l'imaginaire du lecteur. La carte du Panam revisité sur une double page intérieure appuie encore cet univers et amuse énormément, pour peu que l'on prenne le temps de déchiffrer chaque nom et que l'on accepte de pardonner à l'auteur quelques jeux de mots vaseux. L'ensemble est plutôt pas mal (avec un peu d'attention on notera la Porte de Baldur, la Porte du Baphomet et la Porte des Petits Dieux, ou encore la Butte Momie)…
Et pour immerger complètement son lecteur, quelques pages sont là comme des coupures de presse, insérées dans le roman et permettant de faire un point sur l'action avec une narration complètement différente. Voire décalée.
C'est très bien trouvé.

Rue Farfadet est le premier roman d'une série avec Sylvo Sylvain comme héros. Mais à l'image des séries policières du siècle dernier, chaque roman est complètement indépendant, comme les Hercule Poirot et autres Arsène Lupin. Aucune crainte à avoir donc sur l'attente de la suite comme c'est souvent le cas dès qu'on entre en terre de Fantasy. Et il faut avouer que c'est bien agréable.

Un premier roman non exempt de faiblesses mais qui sonne juste et qu'on lit avec plaisir. Une lecture simple et fluide avec un univers décalé pour se faire plaisir en attendant de rebasculer sur d'autres lectures plus "lourdes".
Un ouvrage à mettre entre les mains de tous ceux qui aiment lire et rêver.

Cœur de chene

Extrait :

Sylvo est en planque à la terrasse d'un café lorsque celui-ci est la cible d'un attentat.

Le moins que je puisse dire, c'est que j'ai eu de la chance.
Une sacrée chance.
La première bourrasque me projeta au loin, me mettant hors d'atteinte des coups de boutoir suivants. Je m'en sortis avec pour toute blessure une belle ecchymose, la table d'où je guettais le retour du nain m'ayant heurté au menton en s'envolant.
[…]
Je me redressai lentement, jambes flageolantes, et mon regard se porta sur la terrasse dévastée. Le verre pilé fragmentait les lumières de la rue en milliers d'étincelles, tables et chaises brisées se confondaient, partout ce n'était que pierres et planches et pans entiers arrachés à la bâtisse. Le café n'était plus que gravats.
C'était bel et bien un attentat, aucun doute possible. Aucune tornade ne pouvait se comparer à cette folie. Seul un sylphe était capable d'une telle furie.
A cet instant, un mouvement inattendu se produisit au cœur du champ de ruines. Un peu hébété, je ne compris pas tout de suite ce que je voyais. Lentement une silhouette massive s'extirpait des décombres.
A côté de moi, quelqu'un cria qu'il y avait des survivants là-dessous. Je me rappelle m'être dit que c'était impossible, que personne n'avait pu réchapper à ce déferlement de violence brute, puis titubant et vacillant, le faux Mudzin émergea du nuage de poussière. De sa robe, seuls des lambeaux subsistaient, ses colliers lui avaient été arrachés et il allait tête nue.
L'illusion avait vécu. Tout prenait sens, désormais.
Blessé, saignant horriblement, un troll se tenait devant nous.
Un troll !
Il y eut une ou deux secondes de totale stupéfaction, puis un enfant demanda : "C'est quoi, ça ?", et ce fut le délire. Les hurlements d'épouvante redoublèrent d'intensité et la panique mua la rue en pandémonium.
Je fus le seul à ne pas fuir. Paralysé par une vague de terreur ancestrale, je restais sur place. Seul. Tout seul face au monstre.
Le troll s'ébranla, fit trois pas dans ma direction. Souffrant visiblement mille morts, il gesticula un peu, émettant un bruit de gorge noyée de sang, puis, malgré ses plaies béantes, quitta le boulevard d'un pas étonnamment rapide.
Ce n'est que lorsqu'il eut disparu que mon corps se remit à fonctionner normalement. Un grand cri de terreur silencieuse envahit mon crâne, genre : AAAAAAAAHHH ! UN TROOOOLL ! Ma vessie faillit me lâcher, et mes jambes, avec un peu de retard, voulurent m'emporter au loin, mais ne réussirent qu'à s'entrechoquer violemment. Roulant en tous sens, mes yeux révulsés tombèrent par hasard sur le corps de Costume Gris, étendu dans le caniveau, abandonné là par ses gardes du corps aux gueules de tueurs.
Par tous les dieux ! pensai-je, plus abasourdi encore que par la vision du monstre. Sa coiffure n'a pas bougé !

Rue Farfadet
Rue Farfadet
de Raphael Albert - Éditions Mnémos - 236 pages