Avec la nouvelle titre du recueil, on retrouve les Pouilles chères à l'auteur (Le soleil des Scorta), la mort et la porte des enfers (La porte des enfers).
Le Négus est un vieil homme hanté par les victimes en nombre massacrées en Éthiopie sur ordre de Mussolini. Selon le village qui le rejette, il est devenu fou là-bas. « J'étais fous parce que j'étais trop nombreux ». Personne ne lui parle, sauf ces fantômes. « Seuls les oliviers continuaient à parler à ce grand fou brûlé par la guerre ».
Le vieux Négus s'enflamme aussi pour Frédéric II venu dans l'abbaye de Càlena pour y défier la mort. Ces deux-là étaient fait pour se comprendre. On a envie d'être à côté du narrateur pour écouter encore les histoires du Négus  cet homme devenu étranger à tout, incapable de reprendre le cours normal de sa vie.
Dans cette nouvelle, Laurent Gaudé nous offre un portrait magnifique, plein de tendresse pour un vieux terrassé par les horreurs de la guerre, la folie des hommes. Seul le chant du vent dans les oliviers et la beauté des Pouilles réussissaient à l'apaiser.

Le Négus, un homme « habité par le chant du monde. Où l'homme se heurte encore au mystère du temps et à la présence rugueuse des éléments. »

La mort est toujours présente dans Le bâtard du bout du monde. Elle a trouvé son hérault pour terrasser la vanité de Rome. « J'aurai dû mourir là-bas mais je reviens pour dire que tout va finir ».

Licius est citoyen de l'Empire romain. « Je suis chez moi, ici, d'autorité, par la tunique que je porte ». Licius, fils orphelin, élevé par Rome, sa mère, sa légion. Il est en mission aux confins de l'Empire. Il a fait la Haute Bretagne à surveiller le mur d'Hadrien, les barbares d’Écosse.
Au bout du monde, il rencontre la mort et la ramène à Rome, comme une gangrène qui le ronge. Il n'est qu'un messager, gardé lucide le temps qu'il faut. Ici, on retrouve le talent de conteur de L. Gaudé pour cette métaphore de la chute de l'Empire, servie sur un ton presque neutre, froid, humide comme les terres déjà touchées par les ténèbres qui vont fondre sur tout l'Empire.

Ce texte est à la limite du fantastique avec cette mort qui rode partout sous le brouillard et la pluie. Une ambiance à donner froid dans le dos. Une ambiance sombre, en clair-obscur que l'on retrouvera encore plus développée avec la nouvelle suivante : Je finirai à terre. Là c'est un poilu (comme celui de Cris) confronté au Golem, arme de vengeance de la Terre trop martyrisée par les hommes. Effroi à l'état pur garanti sous le bruit sourd des canons.

Puis on revient aux temps contemporains avec la dernière nouvelle, Tombeau pour Palerme. L'auteur nous transporte en Sicile aux côtés de ces hommes et femmes qui luttent contre la Pieuvre. Le récit d'un de ces hommes déterminés à lutter jusqu'à la mort – ils en sont tous conscients - contre cette gangrène. Le narrateur s'adresse à son ami, juge et tombé il y a peu. Il raconte sur un ton presque détaché mais où perce la tristesse de la perte de son ami, tous les doutes, les frayeurs, la colère de ces hommes pleins de courage. Ils savent que le combat est presque perdu d'avance, mais… ils continuent encore et à la longue, ils finiront bien par l'avoir cette Pieuvre.

Ces nouvelles pas très joyeuses donc sont pourtant magnifiques, prenantes, captivantes et qui donnent à réfléchir sur notre appréhension de la mort, notre attitude face à elle. Laurent Gaudé sait créer les ambiances qui vont à merveille, sait aussi parler des hommes. Un magicien des mots qui

rappelle que nous sommes petits et que nos vies sont brèves, si brèves que les pierres en rient sur les sentiers des oliviers.

Des textes que l'on ne se lasse pas de lire, revenir en arrière et relire encore à haute voix.



Du même auteur :Dans la nuit du Mozambique, La porte des enfers, Onysos le furieux, Sodome, ma douce, Cendres sur les mains, La mort du roi Tsongor, Sofia Douleur, Salina, Pluie de cendres, Combat des possédés, Le soleil des Scorta, Cris, Médée Kali, Ouragan, Kaboul, Pour seul cortège

Dédale

Extrait :

« Les oliviers m'ont appelé. »

Je les ai devant les yeux, les oliviers de Càlena et ils n'ont pas changé. Ils sont épais comme des cous de bœufs, enracinés dans ces terres de cailloux depuis des siècles. Les chèvres passent entre eux, lentement, faisant tinter , dans le silence des collines, leur cloche. Ce sont les mêmes qui ont accueilli Frédéric II. Tout est là. Sous mes yeux. Il y a, à cet instant, une douceur dans l'air qui vous réconcilie avec le monde. Je marche lentement. C'est un moment de beauté simple où la terre semble respirer de la lumière. Tout est là et se mêle et il naît, de cet entremêlement des âges, un sentiment de quiétude et d'apaisement.

Je n'ai jamais pu pénétrer à l'intérieur de l'abbaye. Depuis dix ans que je viens ici, la porte est toujours restée fermée. Les Trapazzoli continuent à en interdire l'accès. Peut-être n'ai-je pas eu le courage du Négus : escalader le mur et aller voir de l'autre côté. Peut-être est-ce simplement que les oliviers ne m'ont pas appelé. Ils ne me connaissent pas. Je ne suis pas un de leurs fils au sang de pierre et aux pieds de chèvre. Mais je les contemple et, comme chaque fois, il me semble que, quel que soit l'endroit d'où on les observe, tout est parfait : la douce inclinaison de la pente, l'espace entre les arbres, la densité du feuillage, l'épaisse élégance du mur de l'abbaye. Le silence règne partout et il y a dans l'aire quelque chose d'un peu salé qui vient de la mer. Je suis bien. Comme si croire aux histoire que m'a racontées le Négus me donnait une force profonde, une foi en la beauté lente du monde.

Les oliviers du Négus
Les oliviers du Négus de Laurent Gaudé - Éditions Actes Sud - 158 pages