Si ces aventures peuvent être lues séparément, elles sont si cohérentes qu'elles se lisent sans peine à la file. Elles offrent un plaisir frais de lecture, un sentiment profond de bien être, de douceur, légèrement saupoudré d'aventure. C'est évidemment un ouvrage sur l'amitié où chaque personnage tente de mettre en valeur la meilleure part de l'autre, sans arrière pensée ou calcul. Ils partagent leur vie entre parties de pèche, régates en barque sur leur belle rivière, discussion sur tout et rien avec leurs amis et voisins. On savoure avec eux les doux moments d'un déjeuner sur l'herbe dans leur douce campagne.

Messieurs Taupe et Rat sont des amis très attachés l'un de l'autre. Le premier a l'esprit un peu aventureux, aimant les découvertes. Il permet au second de sortir de sa douce routine. Mr Blaireau, lui, est plus solitaire, taciturne, installé dans sa tanière au fond de la Forêt sauvage. C'est un personnage très respecté et écouté, une sorte de référence tutélaire, bourru mais au grand coeur.

Quant à Mr Crapaud, c'est un sacré phénomène. Il est tête en l'air, s'enflamme pour tout et rien, vaniteux. C'est également un vrai danger public quand il s'entiche de ces merveilles que sont les automobiles. Il mène milles projets qu'il ne termine jamais, s'embarque du fait de son inconscience, son irresponsabilité dans des aventures où ses amis doivent le dégager. On suivra le coeur palpitant l'attaque de nos compères sur la bande de belettes et hermines ayant investi par la force le château de Mr. Crapaud. Ce dernier n'est qu'un éternel gamin et malgré tout ses défauts, ils l'aiment bien tout de même.

Le vent dans les saules apaise immanquablement. Et comme le signale Alberto Manguel dans la préface, il y a dans cette suite d'aventures un « je-ne-sais-quoi, dans le choix du vocabulaire, dans le rythme des phrases » qui suffit à évoquer une atmosphère où règne une grande tendresse, une fraîcheur qui fait du bien. Dès les premières lignes, un doux sourire ne quittera plus vos lèvres.

C'est un livre de jeunesse, comme le dit l'auteur, « composé d'abord pour la jeunesse, en tout cas pou ceux qui gardent intact en eux l'esprit de jeunesse. »
A savourer sans modération

Dédale

Extrait :

L'aimable Mr Blaireau les fit asseoir sur une banquette devant la cheminée après leur avoir fait enlever leurs vêtements et leurs souliers mouillés. Il leur donna à chacun une robe de chambre et une paire de pantoufles, puis il baigna la jambe de Mr Taupe avec de l'eau chaude et la pansa avec un morceau de sparadrap, tant et si bien que le blessé fut de nouveau ingambe. Dans la lumière et la chaleur qui les enveloppaient, étendus, rompus de fatigue, devant un bon feu, et avec dans l'oreille le cliquetis des assiettes qu'on disposait sur la table derrière eux, les deux réfugiés,arrivés à bon port, se demandaient si la glaciale Forêt sauvage qu'ils venaient de quitter n'était pas à des miles d'eux, et si toutes les tribulations qu'ils y avaient souffertes n'étaient pas un cauchemar à demi oublié.
Une fois qu'ils furent bien réchauffés, Mr Blaireau les invita à passer à table où les attendait un repas. Il y avait longtemps que la faim les tenaillait, mais quand ils virent enfin de leurs yeux le souper qui leur avait été préparé, ils se demandèrent par quoi commencer, car tout avait l'air si appétissant, et si les autres mets auraient l'obligeance d'attendre leur tour. Ils ne pipèrent mot pendant un long moment. Quand enfin la conversation reprit, ce fut d'une déplorable manière, car ils parlaient la bouche pleine. Mr Blaireau n'avait pas l'air de s'en formaliser outre mesure, pas plus que de leur façon de manger en posant les coudes sur la table ou de parler tous à la fois. Comme il ne fréquentait pas le monde, il estimait que ces choses-là n'avaient au fond pas grande importance. (En quoi il avait grand tort, comme nous le savons tous : ces choses-là comptent énormément, mais se serait faire une trop longue digression que de le lui expliquer.) Assis dans son fauteuil au haut bout de la table, il ponctuait le récit de nos deux amis de graves hochements de la tête. Rien ne semblait le surprendre ni le choquer. Il ne les interrompit jamais d'un « Je vous l'avais bien dit » ou d'un « C'est bien ce que j'ai toujours pensé », ni pour faire observer qu'ils auraient dû faire telle ou telle chose plutôt que telle autre. Mr Taupe sentit naître des sentiments amicaux envers lui.

Du vent dans les saules
Le vent dans les saules de Kenneth Grahame - Éditions Phébus Libretto - 215 pages
Traduit de l'anglais par Gérard Joulié